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septième volume 1940-1950
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me demander, chez moi, à la fin de la guerre, un jeune Sifton, alors attaché à la haute direction du journal. Encore une entrevue acceptée de mauvais gré, par complaisance pour mon ami Victor Soucisse, apôtre non encore déçu du rapprochement entre les deux races. Je n’ai pas oublié ce jeune Sifton, beau grand garçon, frais émoulu d’Oxford, avec la prestance et le charme dont se pare parfois la race conquérante. Sur ma demande expresse, mon ami Soucisse l’avait accompagné. Il me plaît toujours d’acculer ces sortes d’interlocuteurs devant un témoin. Car, avec ces Messieurs, je prends volontiers l’offensive. L’entrevue se déroule selon le rite uniforme en pareil cas. M. Sifton fait naturellement allusion au nationalisme québecois et au mien. Je lui réponds, toujours selon le rite habituel : « Oui, Monsieur, nous sommes nationalistes et je le suis. Mais, moins que vous, Anglo-Canadiens. » Constatation ou affirmation toute simple, mais qui a le don, une fois de plus, d’interloquer singulièrement mon visiteur. Et je reprends : « Eh oui, vous êtes nationalistes et plus que nous. Et je m’en vais vous le prouver. Jamais, vous, Anglo-Canadiens, vous n’avez sacrifié vos droits de race par fidélité à un chef ou à un parti politique. Nous, Canadiens français, nous ne comptons plus les sacrifices que nous ont arrachés nos chefs politiques, sacrifices des droits les plus sacrés consentis à la bonne-entente, à l’unité nationale, fins plus qu’illusoires. Vous nous reprochez parfois ce que nous appelons “l’achat chez nous”, forme de solidarité économique. Mais vous, Anglo-Canadiens, que faites-vous ? La seule différence entre vous et nous, c’est que vous, et sans qu’il soit besoin de vous prêcher la solidarité économique, d’instinct vous achetez chez les vôtres, vous allez à vos banques, à vos sociétés d’assurance, etc., pendant que nous, même prêchés, même exhortés, nous sommes peut-être le peuple le plus indifférent du monde à sa solidarité économique. » Ainsi embarqué, je dis pourtant à mon monsieur Sifton : « Notez-le bien, je ne vous reproche point votre nationalisme. Souvent je vous ai proposés en exemple à mes compatriotes. Le nationalisme, quoi que prétendent trop de pédants, est une idéologie saine pour tout peuple ; il faudrait même