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mes mémoires

Raymond, ce qui est toute la différence du monde. Si vous et vos amis aviez accepté cette collaboration, vous auriez pu faire élire, à Ottawa comme à Québec, de quoi écraser, si nécessaire, vingt Lacroix…

La défaite et la mort du Bloc, ce serait, en outre, une et peut-être deux générations de Canadiens français replongées dans la morne passivité et le dégoût des hommes politiques… Par son aspect tragique, votre fin de carrière me rappelle la triste fin de M. Bourassa. Encore M. Bourassa, vieilli, fait-il le possible pour se ressaisir…

Mais non… Pardonnez-moi, je vous écris des choses que je ne voulais pas vous écrire, que je voulais garder pour moi seul. Et permettez à un homme qui n’abandonne pas ses amis, surtout dans le malheur, de vous serrer cordialement la main.

Lionel Groulx, ptre

Gentilhomme jusqu’à la fin, le Dr Hamel avait pris congé de M. Raymond avec une grande dignité. Sa dernière lettre au convalescent de Woodland se terminait par ces mots :

Le jour où vous constaterez avoir eu tort de ne pas entendre nos griefs, pour nous donner justice et surtout pour nous permettre de lancer ce mouvement à fond, votre conscience que je sais délicate et très belle en souffrira profondément. Hélas ! vous ne pourrez plus alors réparer le mal fait à la cause, certes, avec les meilleures intentions du monde, mais par manque de confiance dans le jugement de vos plus solides partisans.

Restons quand même amis. Je ne vous garde aucune amertume ; au contraire, je vous le répète, je vous estime. Vous avez une conception différente de la mienne sur ces questions. Vous ne voyez pas venir les échecs là où ils me crèvent les yeux. Vous avez la conviction de bien faire, j’en reste persuadé, et comment, en ces circonstances, pourrais-je vous en vouloir ? Cette situation, par votre indécision, vous tourmente. J’en suis peiné, parce que vous méritiez plus de tranquillité d’esprit en ces longs jours de convalescence.

Tous deux nous avons voulu ardemment le bien des nôtres. Malheureusement un misérable s’est glissé entre nous. Il a manœuvré perfidement. Sa tâche est accomplie. Que Dieu lui pardonne d’avoir tant nui à une cause sacrée !

Je forme des vœux pour votre prompt retour à la santé et vous serre cordialement la main.