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maladie du chef s’est prolongée ; sa convalescence va du même train. Édouard Lacroix aurait-il espéré, dans l’intérim, prendre la tête du mouvement ? Et pendant que cet espoir grandissait en lui, aurait-il même rêvé du haut poste de premier ministre de sa province ? Les soupçonneux l’accusent de ces rêves. À vrai dire, le député de la Beauce fait de son mieux pour écarter de son entourage tous ceux-là qui lui pourraient barrer le glorieux chemin. Il multiplie envers Hamel, Chaloult et Gouin, tracasseries et dédains ; il feint de les ignorer ; il tient des assemblées sans les convoquer ; par toutes sortes d’intrigues, il tente même de ruiner la réputation de Chaloult dans son comté de Lotbinière ; il aurait multiplié contre ses collègues québécois, contre Madame Chaloult et autres dames, médisances et calomnies. Pendant ce temps l’organisation à Québec tombe à bas. Le petit groupe Lacroix ne parle plus que devant des salles à demi désertes ou vides. Hamel, Chaloult, Gouin se refusent à paraître aux côtés d’un homme qu’ils déclarent « ignare », sans autre valeur que celle de ses piastres. Et les plaintes, les dénonciations pleuvent chez M. Raymond. On le prie, on le supplie d’intervenir, de débarrasser le Bloc de l’intrigant, du maladroit, de l’impuissant, en train de mener le mouvement à sa perte. Querelle infiniment malheureuse qui fait la joie des vieux partis. Leurs intrigues y seraient-elles étrangères ? Auraient-ils, de quelque façon plus ou moins sournoise, suscité, attisé cette désunion ? Je ne le crois pas, ou plutôt je n’en sais rien. Le semeur du vent et de la tempête ne le faudrait-il chercher au sein même du Bloc ? Hamel, Chaloult auraient-ils subi inconsciemment la pression d’un ambitieux ? Bien des fois je me le suis demandé. Édouard Lacroix pouvait être un ambitieux ; l’était-il moins que Paul Gouin ? M. Raymond n’avait pas oublié une confidence de ce dernier qui, franchement, lui avait avoué un jour : « Je ne vous le cache point, je nourris le désir d’atteindre si possible au poste de premier ministre du Québec. » Et je me souvenais moi-même d’une parole de Gouin, lors de sa visite à Vaudreuil avec René Chaloult et André Laurendeau : « Vous pourrez dire à M. Raymond, s’il hésite à prendre la direction du parti pour des raisons de santé, que nous désirons surtout son nom, son prestige. Pour ce qui est du travail, nous nous en chargerons. » Parole que je me rappelai quelques mois plus tard, qui me laissa songeur et