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septième volume 1940-1950

boueux de la politique, rencontrer un homme propre ; dans cette cohue où la ligne sinueuse est la voie coutumière, trouver un homme de toute franchise, n’aspirant qu’à la ligne droite, n’est pas bonheur de tous les jours.

L’avenir me réserve-t-il une autre déception ? À force de querelles stupides et de faillites accumulées, j’entretiens un tel scepticisme sur ces sortes de réveils nationaux. Pour ce coup toutefois, et bien qu’à la tête du mouvement, j’aperçoive un homme d’un magnifique caractère, je me pose une question : Maxime Raymond est-il vraiment l’homme de l’heure ? Du chef, quelques qualités peut-être lui manquent. L’homme est de santé délicate. Il songe, au surplus, à quitter la politique, dégoûté de la comédie d’Ottawa, affligé surtout de la pitoyable conduite de notre représentation canadienne-française, confrérie de paresseux et d’insignifiants à la Chambre des Communes aussi bien qu’au Sénat. Il n’est pas loin de partager l’opinion de son ancien condisciple de collège à Valleyfield, Jules Fournier, qui avait écrit, dans l’ancien Nationaliste : « Rien n’est plus lâche à Ottawa qu’un député canadien-français. » Indépendant de fortune, déjà fort mêlé aux grandes affaires, en compagnie de ses frères, Maxime Raymond peut, sans forfaire, s’accorder une retraite honorable et porter son activité en d’autres domaines que la politique. Du chef, il n’a pas reçu, non plus, le don de l’éloquence populaire. C’est un logicien plus qu’un orateur. Il rachète heureusement ces faiblesses par une dignité impeccable, ce reflet de franchise et de noblesse qui jaillit de la personne et d’une parole humaines. Ajouterai-je que Raymond était avocat : ce qui veut dire un peu lent de décision. Comme beaucoup trop de ses confrères de robe, il aimait, avant d’agir, retourner en tous sens une question, scruter les mots presque avec une loupe, dépenser trop de réflexion, trop de temps, où il faut la réflexion rapide et la promptitude du geste. Mais, en dépit de ces quelques lacunes, je dois cet hommage à l’homme que je connus écolier et dont j’ai pu suivre toute la vie, qu’en cette affaire du nouveau parti, pour la première fois, je crois bien, en notre histoire, je me trouvai en présence d’un homme qui renonçait à un repos bien mérité et qui allait de nouveau se jeter dans la fondation aventureuse d’un parti politique, sans le moindre intérêt personnel, sous la simple