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mes mémoires

— Non, très peu.

— Vous y avez une organisation ?

— Aucune.

— Vous pourriez financer votre campagne ?

— Pas seul.

— Et c’est pour dans combien de jours ?

— Il reste onze jours.

Long silence. Et ce dernier mot de Raymond qui se lève pour partir : « C’est à y bien penser… ! »

Je regarde ce pauvre Gouin. De ma vie n’ai-je vu homme aussi soudainement dégonflé, abattu. De mon mieux, j’essaie de le remonter.

— Vous auriez dû le savoir ; M. Raymond n’est pas homme à mettre le pied dans une mare d’eau, sans l’avoir sondée… Après tout, il n’a pas refusé… Il veut examiner l’affaire…

Quelques jours plus tard, Maxime Raymond me dira franchement : « Non, voyez-vous ça : l’élection d’un inconnu dans un comté tel que Sainte-Marie et dans onze jours ! Et sans organisation et sans finances. Gouin a de l’étoffe ; il a déjà subi des revers électoraux. Ce n’est pas un homme qu’il faut faire battre trop souvent. »

Quelques instants plus tard, nous nous retrouvons tous ensemble, je veux dire, l’exécutif de la Ligue, chez André Laurendeau. Paul Gouin paraît remis de sa déception. Il prend part active à la discussion. Il se comporte de même façon dans les réunions suivantes. Un jour, au début de février, la Ligue, son organisation mise au point, décide, pour le 11 du mois, une grande assemblée au Marché Saint-Jacques de Montréal. Bourassa y sera. Pelletier entreprend de dresser la liste des orateurs :

— Vous parlez, Gouin ?

Silence glacial. Puis, ces mots que nul n’attend :

— Laissez-moi quarante-huit heures pour y penser…

Pelletier, plus étonné que tous, passe aux autres et aligne des noms. La réunion prend fin. Paul Gouin disparaît. Et oncques ne le