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septième volume 1940-1950

mentale, presque toute la presse, la radio du pays, la farouche partisannerie politique où ne manquent pas de briller, selon leur habitude, la masse des politiciens canadiens-français.

Comment en suis-je venu à me faire enrégimenter dans la Ligue ? Un jour, je rencontre Georges Pelletier :

— Vous venez avec nous, M. l’abbé ?

— Bien, votre mouvement a certes quelques aspects politiques…

— Ce n’est pas une question politique ; c’est une question nationale. Et nous avons besoin de vous.

Et voilà comment j’assiste aux premières réunions de la Ligue. Ici prend place un incident que je raconte parce qu’il m’aidera plus tard à mieux définir et comprendre l’un des hommes de ce temps-là. Une première réunion de la Ligue avait lieu dans l’après-midi, chez André Laurendeau, rue Stuart, à Outremont. Vers midi, je reçois un appel téléphonique de Paul Gouin. Je crois l’avoir déjà dit : je connaissais peu le personnage, si ce n’est par l’histoire de l’Action libérale nationale. Paul Gouin veut à tout prix rencontrer Maxime Raymond avant la tenue de la réunion de la Ligue. Et il me prie de lui « arranger » une rencontre chez moi. Les deux, du reste, sont membres de la Ligue. Je ne vois nulle raison de m’opposer à cette rencontre. Maxime Raymond l’accepte. Paul Gouin, retiré de la vie publique, silencieux, comme il lui arrive, selon le jeu de certains cycles, m’arrive le premier, les yeux brillants, en proie à je ne sais quelle fièvre. Il insiste pour que j’assiste à l’entrevue. Et que vient-il proposer à M. Raymond ? Une élection partielle aura prochainement lieu dans le comté de Sainte-Marie, comté de Montréal. Paul Gouin souhaiterait y être le candidat de la Ligue ; et la Ligue ferait, de cette élection, une opportune épreuve de forces. L’aspirant-candidat pose seulement deux conditions : Maxime Raymond et toute l’équipe feront la lutte à ses côtés, et Maxime Raymond lui obtiendra un ou deux discours de Bourassa. Cette dernière condition est à retenir. Je revois encore, dans le visage de M. Raymond, la surprise, le rembrunissement soudain. Il paraît à la fois ému et désolé. À preuve, ce petit dialogue :

— Gouin, vous connaissez bien ce comté ?