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cinquième volume 1926-1931

M. et Mme Georges Goyau, M. Louis Gillet, alors, si je me le rappelle bien, secrétaire de rédaction à la Revue des Deux Mondes, Mme Louis Gillet, le R. P. Gillet, o.p., futur général des Dominicains, dont j’avais lu plusieurs ouvrages, et Mlle Agnès de La Gorce, fille de l’historien. Un incident en particulier me revient de ce déjeuner : une violente sortie de mon hôte et de Louis Gillet contre le comte Albert de Mun. Que de nuances, que d’oppositions sourdes entre tous ces catholiques du vieux pays, ainsi que me l’avait fait entendre Émile Baumann. De toute évidence, je me trouve dans un milieu libéral. On ne pardonne pas au comte de Mun, recevant à l’Académie Henri de Régnier, la leçon de morale qu’il avait servie au poète et au romancier. Très courageusement, on se souvient, l’orateur avait défini, osé affirmer la responsabilité de l’écrivain. Ce n’est pas tout, avait-il dit, l’œuvre une fois terminée et lancée, de s’écrier : elle ne m’intéresse plus. La responsabilité suit l’œuvre et l’auteur. Il ne saurait s’en laver les mains. Le plus surmonté est Louis Gillet. Il était présent à la réception. Avec éclats de voix, si tant est qu’il en fût capable, il reconstitue la scène, le ton de M. de Mun, la phrase saillante du discours : « C’est qu’il était beau, appuie-t-il, sanglé dans son habit vert. Et il a dit comme ça : — Je vous ai lu, Monsieur, car j’ai été officier de dragons… » Pour Louis Gillet, tenir de tels propos en pareils lieu et circonstance, c’est manquer de tact, de façon intolérable. Les attablés s’amusent. Personne n’ose prendre la défense du malheureux comte, pas même Georges Goyau, pas même le Père Gillet. On cause aussi de Louis