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mes mémoires

— Puis-je savoir votre nom, M. l’abbé ?

— L’abbé Groulx.

— Ah ! voilà l’explication du mystère.

Et je l’entends qui crie à quelqu’un du fond de la maison :

— Monsieur, venez voir un cousin du Canada.

Je vois venir à moi un couple d’une cinquantaine d’années. Et le Monsieur est bien authentiquement un Groulx des environs de Lisieux. Lui et sa dame sont venus, avant le carême, rendre visite à leur fille carmélite dans le monastère. Le cousin est plutôt costaud. Nous échangeons une poignée de mains. Mais je le confesse tout de suite : le parent du Canada n’a pas le don d’éberluer le cousin normand. Il écoute d’une oreille médiocrement attentive les renseignements que je lui donne sur le premier Groulx venu au Canada en 1665. Il me paraît surtout heureux d’apprendre que le colis d’objets religieux venu du magasin ne lui est pas destiné et qu’il n’en éprouvera point d’embarras. Je lui dis toutefois :

— Voulez-vous, s’il vous plaît, vous tourner un peu que je vous voie de profil. Tous les Groulx du Canada ont comme un signe de race. Je ne le porte point quant à moi, étant plutôt du type physique de ma mère. Mais les Groulx que je connais, en mon pays, ont presque tous ce signe ; je l’ai observé chez mon grand-père, chez mon père, chez ses frères, chez l’un de mes frères à moi. Tous ont le nez aquilin.

Le cousin normand se tourne ; il avait le nez héréditaire. Seul souvenir que j’aie gardé de lui.

Un autre souvenir. L’un de mes amis, un pharmacien du nom de Goyer, m’avait prié de saluer au monastère une de ses sœurs enfermée là depuis vingt ans. Je pus obtenir qu’elle vînt à la grille. La chère petite Canadienne, comme elle était heureuse d’entendre parler du pays ! Mais, en même temps, comme les nouvelles se peuvent déformer entre ces murs trop bien clos ! On lui avait parlé de quelques apostasies de nos pauvres gens des quartiers miséreux de Montréal qui, acculés à la misère, abjuraient et se donnaient à des pasteurs pro-