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cinquième volume 1926-1931

tite Sainte. Était-ce pur saisissement nerveux ? Je me sentis secoué, bouleversé intérieurement, mais sans rien de violent, comme si par quelque fluide merveilleux, la Petite Thérèse eût voulu me faire sentir sa présence. Je dus m’asseoir et rester là quelque temps à pacifier mon émoi. Ainsi que je le dis dans mon article au Devoir, ma visite aux Buissonnets ne m’a pas ému moins fortement. Je demande d’abord aux gardiennes de la maison le privilège de dire ma messe le lendemain matin, dans la chambre de la Petite Thérèse. Permission tout de suite accordée. Je m’enhardis ; j’invoque ma qualité de pèlerin venu du lointain Canada et d’amant très attaché à Thérèse ; et je sollicite un privilège peut-être plus considérable : celui d’aller passer quelques heures seul dans le jardin. Je promets d’être bien sage, de ne toucher à rien. Les gardiennes acquiescent de nouveau. C’est dans l’après-midi. Je passe bien là deux à trois heures. Lentement je parcours les allées du parterre ; j’évoque tous les faits, tous les souvenirs que l’Histoire d’une âme me permet de localiser. Puis, assis sur ce banc où tant de fois la « Petite reine » s’est assise aux côtés de son « roi », je rêve à mon aise à la prodigieuse histoire. Le soleil baissant m’arrache à ma rêverie et à ma méditation. Heures enchantées qui restent profondément gravées en ma mémoire.

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Au « Lys d’or », pension de famille où j’ai pris mon logement, juste en face du monastère, un incident amusant marque, ce soir-là, mon retour des Buissonnets. La veille au soir, en m’accueillant, la maîtresse de la maison ne m’a pas demandé mon nom. Or, le lendemain matin, messe dite et mon petit déjeuner pris à la hâte, je dis à l’hôtesse : « Ne vous inquiétez pas de moi ; j’ai des courses à faire dans Lisieux ; vous ne me reverrez qu’à la fin de la journée. » De là, je passe par un magasin d’objets religieux acheter quelques souvenirs que je désire expédier au Canada. Et je fais adresser le colis au « Lys d’or » sous le nom de M. Groulx. Donc, ce soir-là, à mon retour à la pension, j’y découvre une certaine agitation. L’hôtesse, un peu nerveuse, m’aborde avec cette question :