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mes mémoires

histoire ; nous avons eu des ancêtres qui étaient Français, qui ont souffert pour le rester et qui nous ont demandé de les continuer. De tels souvenirs, de tels commandements peuvent paraître de petites choses à de grands peuples. Mais ce sont nos souvenirs, et nous estimons qu’il y a grandeur rien qu’à en être les gardiens.

Pour le reste, je le sais bien, une telle volonté, une telle attitude, suppose, chez notre peuple, quelque chance, quelque volonté de survie. La volonté, nous l’avons encore ; la chance, nous ferons qu’elle soit nôtre. À la dernière page de son beau roman, André Laurence, M. Pierre Dupuy, l’un des nôtres, évoque le paysan canadien de 1760 disant adieu au dernier vaisseau français, qui, après la conquête, ramenait au pays natal ses chefs. « Lentement, les voiles nostalgiques avaient disparu à l’horizon… Mais l’ancêtre, de ses mains calleuses, avait serré plus fortement les mancherons de sa charrue : il ne renonçait pas à sa vie française. » En dépit de quelques apparences, cette volonté de l’ancêtre n’a pas changé chez ses petits-fils. Ils la gardent et la défendent comme un legs sacré. Sans doute, et ils ne se font pas illusion, survivre dans le milieu où se joue leur destin, prend les proportions d’une audacieuse gageure. Mais, volontaires et chrétiens, ils ne croient pas au déterminisme historique. Des gageures, ils en ont bien gagné quelques-unes depuis cent soixante ans. Avec l’aide de la France intelligente et sympathique, avec l’aide de Dieu, ils gagneront cette autre (Le Français au Canada, 124-125).

Des échos de ce qui s’était passé en Sorbonne ne tardèrent pas à parvenir au Canada. Mes amis s’en réjouirent vivement. Et je le dis en toute franchise, et sans fausse modestie, ce fut l’une de mes joies que de leur avoir valu ce petit plaisir. Esdras Minville qui vient de lire le câblogramme de M. Philippe Roy, me dit son bonheur (25 janvier 1931) :

Nous les attendions, ces nouvelles, nous qui n’avons jamais douté de votre succès là-bas. Vous nous avez tellement habitués à sortir « vivant » de toutes les aventures, que nous étions bien tranquilles à votre sujet… Bravo ! Continuez…

Antonio Perrault met en sa lettre autant de ferveur pour le moins (31 janvier 1931) :

Je reçois votre lettre du 21 janvier. Quelle joie elle m’a causée. Votre succès ne me surprend pas… J’ai lu votre lettre à la