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cinquième volume 1926-1931

je les aurais acceptées. Vers midi, un « petit bleu » m’est venu du Commissariat canadien. M. Roy m’y dit, sur le ton réconfortant : « Je serai là avec mes deux secrétaires. » Les deux secrétaires, ce sont MM. Jean Désy et Pierre Dupuy. Mais qui trouverai-je d’autres à cet amphithéâtre Liard pouvant contenir 400 à 500 auditeurs ? Sans doute, et selon le plus probable, des bancs à moitié vides. Rien d’autre alors que l’échec prévu ; et était-ce vraiment la peine d’avoir entrepris ce long voyage ? Et si la salle était remplie… ? En ce cas je m’effrayais à la pensée que je portais un peu, malgré tout, quelque chose de l’honneur de mon petit pays, de sa culture, de son enseignement universitaire et qu’on en jugerait selon la louable ou médiocre qualité de mes cours. Pour comble, cet après-midi-là du 20 janvier 1931, il pleut à verse. Le ciel de Paris a pris son air le plus maussade. Je me rends à la Sorbonne à pied, sous mon parapluie. Je me sens las, déprimé, peu en forme. Je réfléchis, je m’en souviens, à l’étrange destin qui nous guette parfois dans la vie. Une image me traverse l’esprit : l’image d’un galopin de huit à dix ans, promenant ses pieds nus sur les sables mouillés de la baie des Chenaux de Vaudreuil, et je me dis : par quel hasard la vie a-t-elle voulu m’amener aujourd’hui aux portes de la première université de France ?… Dans la petite salle d’attente, je rencontre René Bazin, Georges Goyau, Firmin Roz et mon ministre, M. Roy. Tous quatre s’emploient à me réconforter. D’ailleurs ils prendront place en demi-cercle à mes côtés, dans un instant, autour de la large tribune de l’amphithéâtre. J’entre ; surprise, la salle est pleine ! M. Roy qui entend mal d’une oreille, se place