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mes mémoires

Aussitôt ma messe dite — je la puis dire tous les jours ―, mon déjeuner avalé et mon bréviaire récité, je m’enferme dans ma cabine et me remets à la rédaction de mes cours. À tout prix, je veux achever ce travail avant mon arrivée à Paris. C’est qu’arrivé là-bas, il me restera peu de temps, huit jours à peine, avant mon premier cours en Sorbonne, fixé au 20 janvier. Le beau temps, le travail ne m’empêchent pas d’avoir des retours d’inquiétude. Mes épaules courbent malgré moi sous la chape de plomb. Je me pose des questions comme celles-ci : « En toute bonne foi, que vais-je faire en France ? Aurais-je dû partir, accepter ces cours ? Comment présenter à ces Français de Paris, l’histoire de si petites choses ? Comment capter leur attention ? » Depuis mes récents voyages, je sentais ces parents de France si différents de nous, si loin de nous. Malgré moi j’évoquais l’image d’un Fuégien se baladant sur les grands boulevards. Ces pensées m’obsèdent à tel point qu’à certains moments, je crois l’avoir écrit à mon frère Auguste, n’eût été la honte d’un tel geste, à peine arrivé au Havre, j’aurais eu une idée folle de me rembarquer pour le Canada. Le 11 janvier je suis à Paris. Les idées noires ne m’ont pas encore abandonné. D’une lettre à ma mère, j’extrais ces lignes sombres :

Paris a beau être Paris, c’est l’exil quand même. Et un pauvre petit Canadien se trouve bien seul dans ce monde. Avec le temps, quelques Canadiens vont, sans doute, me venir voir. Pour le moment, c’est la solitude que je m’en vais oublier en me mettant au travail.

La solitude ne dure pas longtemps. À Paris je loge à l’Hôtel Malherbe, 11 rue de Vaugirard, à quelques pas de l’Odéon, près du Jardin du Luxembourg, dans le voisinage de la Sorbonne. Hôtel de seconde classe, que cet Hôtel Malherbe, mais très confortable, muni même d’un petit ascenseur. Ma première course me mène au Commissariat canadien. Je vais rendre visite à notre ministre plénipotentiaire — nous n’avons pas encore d’ambassadeur — M. Philippe Roy. Le Ministre, personnage costaud,