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cinquième volume 1926-1931

Quelques causes de nos insuffisances

Quelques mois auparavant, soit le 26 avril 1930, je m’étais permis, oh ! plus ou moins, une autre échappée hors de l’histoire. À l’Université, en ce temps-là, je donnais mes cours publics sur l’ « Enseignement français au Canada ». Un de ces cours avait particulièrement frappé mon ami, Antonio Perrault, auditeur assidu. J’y avais brossé le tableau de nos déficiences scolaires au lendemain de 1760. Dans la crise d’alors, le cauchemar de toutes nos misères nous remontait à l’esprit. Chacun s’interrogeait sur les causes. De notre passé, j’explorais une tranche restée terra incognita. Autrement dit, j’abordais cette époque douloureuse où, par suite des misères de la Conquête, tout notre système scolaire du Régime français s’était misérablement écroulé. Mes auditeurs avaient pu s’en rendre compte : nos déficiences ou nos malheurs de 1930, et bien d’autres avant cette date, se rattachaient à des causes lointaines, si lointaines qu’elles pourraient nous incliner à l’indulgence envers les ancêtres. Point très particulier sur lequel d’ailleurs j’insistais :

J’avoue que l’étude de l’histoire incline plutôt à l’indulgence. Elle y incline parce qu’elle révèle la complexité des choses humaines et met en garde contre les explications trop sévères parce que trop simplistes. Elle apprend, par exemple, à ne rien expliquer, dans la vie d’un peuple, par les seules causes prochaines, n’y ayant un seul aspect de la vie contemporaine, un seul déficit, une seule faiblesse nationale qui ne se rattache à quelque cause reculée, au cheminement lointain. Dans l’état, la condition d’aujourd’hui, elle fait donc voir la part de l’hérédité, de l’involontaire. Et c’est une lumière où, presque toujours, les peuples arriérés prennent figure de victimes plus que de coupables.

Perrault me pria de servir une partie de mon cours à l’auditoire accoutumé du Cercle universitaire de Montréal. Je donnai, je le répète, cette causerie le 26 avril 1930. L’avocat Émery Beaulieu présidait. Olivar Asselin, je me souviens, se trouvait là. La causerie apporta une révélation à la plupart de mes auditeurs. On insista