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cinquième volume 1926-1931

bles, se dénombrent facilement ceux-là qui travaillent. Mes spicilèges m’apprennent, par exemple, qu’en 1928, le 9 novembre, je donne une conférence longuement élaborée, sur un très grave sujet : « Nos responsabilités intellectuelles », conférence dont j’ai déjà parlé. Je vois encore qu’en 1929, à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste, je prononce un sermon aux Trois-Rivières. En son édition du 29 juin, Le Devoir le publie intégralement et le coiffe de ce titre et de ces sous-titres :

De ce capital moral, que faites-vous ? Qu’avez-vous fait ? M. l’abbé Groulx examine notre situation actuelle et pose de graves points d’interrogation. La profonde évolution qui fait de notre peuple agricole un peuple urbain et ses lourdes conséquences. Où en sommes-nous vraiment aujourd’hui quant à la famille, quant à l’école et à la paroisse ? Le caractère précis de la crise présente. Quel est le principe qu’il faut d’abord sauvegarder ? Les leçons de l’histoire et de la raison.

Année 1929, année qui ouvre la terrible période du grand chômage, période qui ne prendra fin que dix ans plus tard, avec la seconde Grande Guerre. L’Action française vient de mourir. Je traverse une crise non de découragement — cette sorte de défection, grâce à Dieu, n’a jamais eu de prise sur moi — mais crise de pessimisme et d’un peu de dépression morale. Tout me paraît se désagréger, se gâter. Les Canadiens français, me semble-t-il, retournent à leur traditionnelle torpeur. La mort de L’Action française n’est pas le seul symptôme inquiétant. Le Devoir subit lui-même la crise que l’on sait. À la descente de la chaire, aux Trois-Rivières, mon ami, l’abbé Albert Tessier, me reproche aimablement ce qu’il appelle mon ton pessimiste. Dans ma péroraison, j’avais posé, en effet, quelques points d’interrogation d’une certaine gravité :

Si notre situation est celle que nous avons décrite tout à l’heure, aurons-nous assez de loyauté et de courage pour en accepter la réalité, l’entière et dure réalité ? Puis, sommes-nous encore capables d’un unanime et vaste effort qui soulève toute la nationalité et l’entraîne aux décisives résolutions ? Si la famille, l’école, la paroisse, nos meilleures forces, nos plus solides bastions sont atteints, voudrons-nous les réparer ? Prendrons-nous les moyens