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sixième volume 1931-1939

1938), définissait justement, ce me semble, et avec non moins d’illusions que trop d’autres, mon rôle auprès de ma génération :

Notre inquiétude réclamait un message d’espoir : l’abbé Groulx nous a apporté ce message… L’abbé Groulx n’a pas apporté aux jeunes qui réclamaient de lui des directives, des conseils, le sec exposé d’un système, il a légué le message vivant de son cœur de catholique et de Canadien français…

Mes ambitions s’arrêtaient là. On connaît le beau vers dont Virgile pare Énée s’engageant dans un combat décisif :

Attollens humero famamque et fata nepotum

« Il charge sur ses épaules la gloire et les destins de sa postérité. » Non, je n’ai jamais ambitionné si haute tâche. Et le sentiment de mon impuissance devant la foi, l’espérance démesurées d’une génération, tout cela joint à la pensée du vide funeste qui, par l’absence du chef attendu, dévasterait les esprits, tout cela, dans le temps, il me faut l’avouer, m’a fait souffrir au-delà de ce que j’en puis dire. Souffrance qui a même jeté, dans ma vie, le mot ne me paraît pas trop prétentieux, une part de tragique.

Heureusement une autre génération allait venir qui m’enseignerait l’humilité. La popularité, la réputation des hommes ou des prétendus chefs tient à peu de chose. Elle dure ce que dure la mode des chapeaux de ces dames : l’espace d’un printemps.

Automne 1959