Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
mes mémoires

regret — tout le profit qu’au collège nous aurions pu tirer des fables du Bonhomme si, au lieu de nous en imposer une récitation machinale, exercice de mémoire débité à la course, recto tono, nos professeurs avaient pu nous les lire, à la façon de ces lectures qui dépassent le meilleur des commentaires. Noëlla — elle s’appelait Noëlla Émond — appréciait tout autant la lecture d’Homère, L’Iliade et L’Odyssée, et celle des meilleures pièces de Corneille, de Racine, des lettres de Madame de Sévigné. Que de fois, le soir, lorsque le temps ne permettait pas la promenade sur le lac, elle m’arrivait sautillante :

— Est-ce qu’on lit ce soir ?

Autre preuve qu’il n’est pas si difficile d’initier un adolescent, une adolescente, à la connaissance des grands classiques. Ses études de couvent terminées à Vaudreuil, Noëlla vint suivre quelques cours à la Faculté des lettres de l’Université de Montréal. Ce devait être le noviciat de sa fonction de secrétaire. Hélas, un mal de genou cloua sur une chaise longue la pauvre enfant. Je dus me tourner d’un autre côté.

Une autre brunette aux yeux noirs vint à moi : fille de l’une de mes sœurs, Valentine, celle qui, au temps de mes vacances de séminariste et de jeune prêtre au foyer, me préparait de si jolis soupers. La nouvelle brunette au teint clair, s’appelait Juliette Lalonde. Depuis quelque temps déjà, sans autre intention que de lui venir en aide, de lui développer l’esprit, je lui passais des livres, lui faisais tenir un journal intime. Noëlla m’ayant dû quitter, je proposai à Juliette de la remplacer. Un éclair dans ses yeux me dit la joie de son acceptation. Elle s’en vint à Montréal. Pendant trois ou quatre ans, elle suivit, elle aussi, quelques cours à l’Université : cours de littérature française et canadienne-française, cours d’histoire du Canada, cours d’histoire universelle, cours de l’histoire de l’art. Débrouillarde, de mains agiles, des mains aux doigts de fée, elle devint, en peu de temps, dactylographe, sténographe. Elle suivit des cours de re-