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sixième volume 1931-1939

m’ont valu bien des rebuffades, des incompréhensions, peut-être même des rancœurs, en revanche, combien mes amis m’auront gâté ! Et quels magnifiques témoignages ils m’auront souvent rendus !

On me désirait un secrétaire. Dans ses recherches d’archives, l’historien a grand besoin d’une copiste pour la transcription des documents et même d’un chercheur pour l’aider dans sa recherche. Mêlé à beaucoup d’œuvres, j’avais fréquemment des articles à recopier. Et combien j’aurai été toujours immergé, noyé dans ma correspondance. Ce secrétaire, je finis par la trouver, avant même la souscription. Elle me vint en l’année 1937. En 1926, lorsque l’infirmité de ma vieille mère m’obligea à prendre logis, la Providence me fit trouver, au presbytère du Mile End, pour tenir ma maison et prendre soin de la grande infirme, une brave ménagère : femme encore jeune, mais type de la vieille servante d’autrefois qui acceptera sa besogne avec autant de fidélité, de dévouement et de désintéressement que si elle fut la sienne. Pendant plus de trente ans elle me restera fidèle. En 1937 je pouvais m’accorder une secrétaire. Depuis longtemps je la souhaitais et la préparais. Je crus l’avoir trouvée tout d’abord, dans ma petite nièce à moi, une brunette aux yeux noirs et si intelligents. Pendant huit années, de ses huit à seize ans, elle était venue passer ses vacances chez moi, à Saint-Donat. Et quel plaisir, elle y trouvait ! Elle était le serin de la maison. Je répète ici, je crois, des souvenirs déjà recueillis en ces Mémoires. Mais tant pis ; ils me reviennent avec tant de charme. Dès les premiers jours de son arrivée, à L’Abitation, pour amuser l’enfant, nous capturions un levraut. Pour le captif, j’avais confectionné, en broche et en bois, une minuscule cabane que Noëlla avait baptisée : Villa de Jeannot. Et elle trouvait son grand amusement à nourrir et à apprivoiser le petit animal. Elle avait l’esprit très éveillé. Mes visiteurs et nous-mêmes prenions le plus vif plaisir à la taquiner. Jamais l’enfant, facile à la riposte, n’échappait une parole irrespectueuse. Pour la distraire, entre mes heures de travail, je me transformais en grand-père ; j’en empruntais le ton, la mimique et je lui lisais quelque fable de La Fontaine. Autant que le Bonhomme à Peau-d’Âne, elle y prenait un « plaisir extrême ». C’est là que je vis — et avec quel