Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
mes mémoires

Cette fois, j’avais touché, semble-t-il, ce pauvre Harvey au cœur, au plus vif. De sa réponse, j’extrais quelques phrases :

Je vous remercie de votre lettre si raisonnable, si sympathique et si fermement chrétienne. Comme vous me comprenez bien ! Et comme je vous comprends !

Mon unique regret est d’être placé, par ma sincérité même, dans une voie différente de la vôtre.

Nous sommes séparés, me dit encore Harvey, « par les trois lettres du mot Foi ». Son attitude religieuse, m’affirme-t-il, n’est pas déterminée « par des causes morales, mais par des causes philosophiques » ; sa raison « se cabre contre les dogmes ».

Aurais-je dû prolonger le dialogue ? Un jour que je mettais Mgr Courchesne au courant de cette correspondance, il me dit : « Tu aurais dû continuer. » Peut-être. Mais j’aurai été toute ma vie, un pauvre homme débordé par sa correspondance, immergé dans sa besogne quotidienne.

Jean-Charles Harvey se chargera de rompre lui-même le dialogue. En 1937 il devient directeur du journal Le Jour. Qu’était-ce que ce journal ? Qui l’avait fondé ? Quels en étaient les bailleurs de fonds ? Du capital juif ? Du capital anglais ? Ou les deux ensemble ? Il me semble qu’il ait été spécifiquement un journal de parti, quoique de tendances nettement libérales. Un de mes bons amis, Victor Soucisse, rend un jour visite à M. Beatty, alors président du Chemin de fer canadien du Pacifique. Victor Soucisse se permet cette observation à propos d’Harvey et du Jour :

— Pourquoi vous accolez-vous, vous autres, Anglo-Canadiens, à des hommes qui ne représentent pas cinq pour cent de l’opinion canadienne-française ?

Et M. Beatty de répondre :

— Vraiment, vous ne croyez pas que M. Harvey fait œuvre excellente au Jour ?