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sixième volume 1931-1939

nous unit, et ce qui nous unit est certainement plus fort que ce qui nous divise.

Ma réponse n’a pas dû pécher par manque de franchise. Il m’écrit de nouveau le 25 novembre :

Je n’aime rien tant que la franchise et la loyauté. C’est pourquoi j’ai toujours eu beaucoup d’estime non seulement pour votre œuvre d’historien et votre pur nationalisme, mais aussi pour votre caractère.

Suivent des considérations sur les rapports du cœur et de l’esprit, sur le droit de l’écrivain à sa propre sincérité, sa sincérité fût-elle celle de l’erreur, sur l’inadmissibilité de la théorie de l’art pour l’art. Je lui réponds, je ne sais à quelle date, n’ayant gardé de ma réponse, que des notes mal griffonnées :

Je suis d’accord avec vous quand vous écrivez qu’il n’y a point d’art, hors de la sincérité avec soi-même. C’est votre sincérité que je voudrais autre… Je ne demande à nul de nos écrivains ou de nos artistes de viser à l’œuvre catholique. Je voudrais leur voir l’harmonie intérieure qui vient de la foi et qui accorde l’homme, l’art et la vérité. Vous l’admettrez : de là aussi peut venir une sincérité ; et de là aussi, peut venir l’art puissant… Quand on a été élevé dans un milieu catholique et qu’on a déjà possédé la foi, on peut avoir le malheur d’en sortir ; on ne saurait avoir de raison vraie d’en sortir.

Je n’entends pas donner à ma formule, veuillez le croire, l’accent du moindre reproche. Votre état d’âme ne m’inspire nulle amertume, mais tout simplement de la pitié. Et ne donnez pas, non plus, à ce dernier mot, un sens blessant. Ma pitié, c’est le sentiment du prêtre ou simplement du chrétien qui sait le bonheur de la foi, de la certitude surnaturelle, et qui plaint, de toute son âme, ceux qui n’ont jamais eu cette force et cette paix ou ceux qui, les ayant eues, les ont perdues.

Un autre motif m’empêcherait de vous juger sévèrement. Je songe à la formation religieuse des hommes de ma génération, formation qui, par la faute de maîtres improvisés, resta si superficielle. Il manque à tant de nos catholiques de connaître les grandeurs du catholicisme. On porte son catholicisme comme une robe prétexte, un vêtement de saison, quand il faudrait le porter comme un Dieu intérieur, une déification…

Laissez-moi la permission de prier pour vous.