Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
mes mémoires

Jean-Charles Harvey

Un journaliste qui apparemment me veut beaucoup de mal, fait se resserrer les rangs de mes amis. Avec Jean-Charles Harvey, ex-scolastique jésuite, il me faut remonter à 1922. Je ne le connaissais guère auparavant. Cette année-là, il vient d’écrire son premier roman, un roman nationaliste, Marcel Faure. Harvey est attaché à la rédaction du Soleil de Québec. Craint-il vraiment que sa thèse, histoire d’un grand industriel qui tente l’émancipation économique des siens, le compromette gravement auprès de ses chefs au journal et des gouvernants libéraux ? Il m’écrit en ce sens, m’envoie son roman, et me prie de lui dire loyalement ce que j’en pense. Encombré de besogne, je passe le livre à l’abbé Valmore LaVergne, alors en séjour de repos à Montréal. L’abbé LaVergne griffonne sa critique sur la couverture du livre, recto et verso. Je le cite :

Rien d’anticlérical, au moins d’une façon précise. Recherche trop accentuée de l’expression voluptueuse. Construction chimérique d’une ville industrielle et d’un système scolaire nécessairement vague. Condamnation en bloc des syndicats ouvriers… Œuvre qui annonce du talent, mais sans maturité… La thèse est mal pressentie. L’œuvre ne fera pas, je crois, assez de bruit pour tuer son auteur…

J’envoyai à Jean-Charles Harvey ces critiques, m’excusant de ne pouvoir faire mieux. L’abbé LaVergne a prévu juste. Harvey demeure au Soleil. Il reste en place et, pour bien servir ses maîtres, combat de son mieux, tout en me couvrant de fleurs au besoin, mes théories nationalistes en mes conférences de ce temps-là. André Laurendeau portera un jour sur Harvey, un jugement assez juste : « un gaillard qui aurait du talent s’il avait un peu de tête ». Mes relations épistolaires avec « Jean-Charles », comme on dit alors, ne reprennent qu’en novembre 1935. Il pose alors sa candidature à la Société Royale ; il sollicite mon appui. Ma réponse tarde un peu ; il revient à la charge :

Vous êtes l’un de ceux dont l’adhésion me ferait le plus grand plaisir. Je sais tout ce qui nous divise ; je sais aussi tout ce qui