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mes mémoires

est venu. À l’ovation qui s’élève, je le devine, quelque chose va se passer. Mon discours, je le répète, ne contenait rien de très neuf. Je reprenais des idées maintes fois rabâchées en ces dernières années. Je magnifiais beaucoup trop nos traditions paysannes. Au problème économique je ne donnais guère l’ampleur que tant de fois je lui avais accordée. Mais il y avait des tirades, des passages comme ceux-ci :

Il peut arriver et il arrive qu’une génération oublie son histoire ou lui tourne le dos ; elle le fait alors sous la poussée d’une histoire qui a trahi l’Histoire. Et si aujourd’hui nous sommes ici, le cœur étreint d’une poignante inquiétude et en quête d’une foi, ne serait-ce point que, derrière nous, une génération aurait manqué de foi et aurait oublié d’être inquiète ?…

 

À quoi sert l’Histoire ? Préserver un peuple des faux aiguillages, l’empêcher de construire sa vie de travers, de se forger des mœurs de travers, un enseignement public, une éducation de travers ; le sauver des solutions économiques, sociales ou politiques improvisées ; l’empêcher de jouer, entre les mains de ses chefs politiques, le rôle de cobaye de laboratoire…

 

Racés, oui fortement racés [nous le sommes], par toute cette histoire, par les hérédités que nous tenons d’elle. Et quand je vois qu’avec ces Français, entraînés hier à la conquête d’un empire, l’on voudrait faire aujourd’hui un peuple de domestiques et de manœuvres, pas même maître de sa réserve québécoise, je comprends que la jeunesse s’insurge contre ce destin, et qu’elle jure, sur la tête de ses pères, de ne jamais l’accepter.

 

[Ceci, à propos de la victoire de 1867] À cette étape de notre vie, que nous a-t-il manqué ? Quand plus que jamais nous avions besoin de ne pas perdre de vue nos lignes de force, pourquoi, chez nous, le magistère de l’Histoire a-t-il choisi cette heure pour se taire ? Au lieu de borgnes et de sous-ordres, que n’avons-nous alors mérité de la Providence des guides, des chefs, d’esprit assez solide et réaliste pour saisir la portée de la récente évolution politique… ?