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mes mémoires
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Donat. Des amis s’y étaient installé un appareil de radio de fortune, anxieux de capter les résultats du vote dans la province. Résultats passablement prévus, mais quand même étonnants. Écroulement total des libéraux. Un balayage électoral. Et mes amis de me trouver, malgré tout, la mine peu réjouie, encore sceptique, renfrognée. Non, je ne pouvais applaudir ; je restais inquiet. Je me souvenais trop de certaine entrevue avec un certain politicien… Hélas, que mes pressentiments de ce soir-là m’ont peu trompé ! Maurice Duplessis ne fut pas long à se débarrasser du trio québecois. Dès la campagne électorale, nous l’avons vu, le sort de l’antitrustard Philippe Hamel était pour lui scellé. Il y verrait, en s’emparant de la barque, puis du gouvernail, et en jetant les autres chefs de l’équipage à la mer. Aucun des alliés d’hier ne trouva place dans le nouveau ministère. Sauf un, Oscar Drouin, brave homme, mais de la famille des nébuleuses. Le vainqueur n’offrit au Dr Hamel que la présidence de la Chambre, excellent moyen de le bâillonner. Le Dr Hamel refusa le poste avec hauteur. On n’imagine guère la déception qu’en éprouva le public. Dans les milieux de jeunesse, ce fut presque de la stupeur. Avoir tant travaillé, tant espéré, pour aboutir à ce fiasco, à cette tragédie de sérail. Quelque temps plus tard, le Dr Hamel, vexé, humilié, surtout navré des suites de sa première aventure politique, tracera, du sieur Duplessis, cet impitoyable portrait : « Vingt-quatre heures après la victoire de 1936, je constatais que j’avais mis à la tête de ma province, le politicien le plus fourbe qu’il m’avait encore été donné de rencontrer dans ma vie. Trois années durant je l’ai combattu, et trois années durant j’ai appris à mesurer la profondeur de sa malice et de sa perfidie. » Dans la même lettre qui est du 14 octobre 1939, je relève encore à propos du même personnage, les expressions suivantes et non moins suaves : « un irresponsable, un homme dont la signature ne vaut rien », « l’être le plus “amoral” que je connaisse ». À René Chaloult qui lui reprochera son infidélité à ses engagements de la campagne électorale, c’est le même Duplessis qui répondra cyniquement : « Voyons René, tu n’es pas un enfant d’école ; tu devrais