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soutient toutefois qu’à l’article des écoles séparées, la loi du Manitoba accorde plus aux catholiques que les lois de la Saskatchewan et de l’Alberta et que la récente loi Norris n’a abrogé, du Règlement Laurier-Greenway, que la partie afférente à l’enseignement du français. Comme je veux sonder toutes les opinions, entendre tous les sons de cloche, j’ai de longues conversations avec le juge James Prendergast. Le juge appartient plutôt à la nuance libérale. Au temps de la lutte, il a été député libéral au parlement de Winnipeg, mais député libre. En ce temps-là, eût-il siégé à la Chambre des Communes, a-t-il avoué, il eût voté sans hésitation la loi réparatrice. Beau type de gentilhomme que ce M. Prendergast. Survivant d’un autre âge, il a gardé le charme et la distinction de la vieille bourgeoisie québecoise. Lui aussi m’avoue n’avoir jamais cessé de s’ennuyer de la ville de Québec, de sa société, de son atmosphère, de son ciel et n’être jamais plus heureux que dans les séjours qu’il s’y accorde. Tempérament d’artiste et de poète égaré dans la politique et peut-être un peu dans le droit, bien qu’il y excelle et qu’il y ait grande réputation. Il me fait voir une série de minuscules cahiers où, chaque jour, il note ses impressions, ses mélancolies, les événements marquants de sa vie. Et nous causons de la question scolaire. Autant il a admiré le prudent et paternel archevêque Taché, « véritable chef de peuple » celui-là, autant il se montre rempli de réserves pour le successeur, le « bouillant », le « fougueux » Mgr Adélard Langevin. Affaire de complexion morale, me semble-t-il. Il est rare que les tempéraments nuancés goûtent fort les tempéraments vigoureux, absolus. Homme de conscience, M. Prendergast est resté néanmoins d’accord, pour le fond, avec les deux archevêques. Ainsi me le fera voir son sentiment sur le débat parlementaire de 1896. C’est au cours de l’un de nos entretiens qu’il me fait cette confidence tout en m’interdisant de m’en servir : « Un jour, c’était pendant la guerre, le juge Brodeur (ancien ministre dans le cabinet Laurier) me dit : — Juge, nous nous sommes trompés en 1896, en nous opposant au bill remédiateur. Nous aurions dû l’appuyer pour les principes qu’il incluait. » — Et M. Prendergast