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peut penser qu’il attacha par trop sa fortune à celle de Philippe Hamel, d’ailleurs si séduisant. Chaloult fut trop longtemps trop disciple. Il laissa passer l’occasion d’être lui-même : et ce fut grand dommage. On dit parfois de l’homme vraiment fort, qu’il suscite l’occasion, le déclic de son destin. Ne pourrait-on soutenir, tout aussi bien, que l’occasion, même suscitée, échappe le plus souvent aux prises de l’homme qui méritait pourtant de la retenir ? Saura-t-on jamais le nombre des destins manqués, avortés, parce que des conjonctures adverses, mais imprévisibles, ont fait s’écrouler les calculs, les plans les mieux échafaudés ? À propos de Chaloult qui, si longtemps, cherchera à se tailler un rôle dans la politique québecoise, je me suis souvent demandé ce qu’aurait pu accomplir ce petit homme intelligent, dynamique, jeté, par quelque bonne chance, aux postes de commande, mis à même de donner sa pleine mesure. Il était propre de conscience, possédait assez de caractère pour ne pas dévier de la ligne droite, sans manquer toutefois de l’opportune souplesse ; il était éloquent, d’une éloquence chaude, châtiée. Pendant les années qu’il lui fut donné de siéger au parlement québecois, il y conquit d’emblée la réputation du premier orateur de la Chambre ; il était le favori des tribunes. Il ne manquait pas de cran. Sous des gouvernements pas plus nationaux qu’il ne fallait, ou nationaux à la manière discrète et peureuse, René Chaloult était l’homme des propositions hardies, la voix de la conscience nationale. Après l’échec de l’Action libérale nationale, tantôt sous l’étiquette libérale, tantôt sous l’étiquette duplessiste, il tentera la chimérique aventure d’insuffler aux partis régnants un peu de l’esprit nationaliste. C’était mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. Tentative qui m’a toujours paru d’esprit peu pratique. M. Chaloult l’apprit à ses dépens. Les partis classiques éprouvent une répugnance morbide pour les indépendants. La chance s’y prêtant, ils ne ratent pas l’occasion de se coaliser pour débarrasser la vie publique de ces encombrants. René Chaloult serait un jour victime de l’une de ces savantes combinaisons.

Pour le cas où l’occasion me manquerait d’y revenir, racontons ici le rôle de ce député hors cadre, lors de l’adoption du drapeau fleurdelisé. Monsieur Duplessis se drapera volontiers, sur la fin de sa vie, dans les plis du drapeau si longtemps souhaité et si