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sixième volume 1931-1939

Gouin : « Gouin ne manque pas de sincérité, mais son jugement assez sûr d’ordinaire se meut avec une lenteur qui ne cadre plus avec le siècle de la guerre éclair. » Trop économe de ses sous, Paul Gouin invitait ses partisans à dîner dans les restaurants québecois, mais chacun payait sa note. Le rival, les poches bourrées d’argent et pour qui l’argent resta toujours un instrument de règne, invitait aussi à dîner, mais payait l’addition de chacun et se gagnait des partisans. Plus remuant, plus habile, Maurice Duplessis s’empara seul du sceptre que son collègue ne saisissait point. Paul Gouin se réveilla trop tard. Sa rupture avec l’allié devenu rival, rupture mal préparée, ne rallia point ses principaux partisans, surtout ceux de Québec. La rupture tourna en déroute. Paul Gouin, aux élections décisives de 1936, commit l’erreur d’hésiter à poser de nouveau sa candidature. Hésiter n’est guère acte de chef. Un jour, à Vaudreuil où je me trouvais, l’un de ses partisans, Séraphin Vachon, m’arriva. Venait-il de son propre mouvement ? Était-il l’envoyé de Gouin ? Séraphin Vachon venait me poser cette question : « Paul Gouin devrait-il rester dans la politique ? Devrait-il de nouveau briguer les suffrages dans L’Assomption ? » J’ai toujours répugné à me mêler d’action électorale. Mais la question me parut si enfantine, et l’homme au nom de qui, peut-être, on me la posait, m’inspirait tellement de pitié, que je me risquai à répondre : « Mais, sans doute, oui. Un chef ne se dérobe pas de cette façon. S’il croit vraiment à ses idées, à son rôle, qu’il en sauve ce qui peut en être sauvé ; qu’il ne laisse pas aux partisans qui lui restent le seul choix de la totale déroute. » Le lendemain, que nous apprenaient les journaux ? Paul Gouin avait présenté trop tard son bulletin de vote. On l’avait refusé. Pour un chef… ! Séraphin Vachon m’assura qu’à L’Assomption l’on avait joué le candidat. Un vrai chef a-t-il le droit de se laisser jouer, surtout dans un acte aussi élémentaire ?

J.-Ernest Grégoire

Dans le groupe québecois l’on trouve plus d’animation, plus de vie, voire plus d’enthousiasme. Ceux-là ont véritablement l’âme des réformistes ; c’est à un renouveau à la fois politique et national