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mes mémoires

rencontreront le 7 novembre 1935. Rencontre, entrevue laborieuse d’où naîtra néanmoins l’alliance des deux hommes, c’est-à-dire une coalition, non une fusion de l’Action libérale nationale et du groupe duplessiste. Coalition qui prendra le nom d’Union nationale. Un monstre à deux têtes mais deux têtes presque tournées l’une contre l’autre. Ces Mémoires ne sont pas ni ne veulent être une histoire politique. Mon dessein n’est donc pas de raconter les diverses péripéties ou épisodes des campagnes électorales de l’époque : ébranlement du régime Taschereau aux élections de 1935, écroulement de ce régime en 1936, dans une tempête de scandales, de concussions qui paraîtraient aujourd’hui péchés véniels, puis avènement de l’Union nationale, première scission d’ailleurs dans l’alliance Gouin-Duplessis dès la veille des élections de 1936 ; seconde scission, la victoire obtenue, entre Duplessis et le trio de Québec : Grégoire, Hamel, Chaloult. Un bon prophète eut pu prévoir ces événements. Une réalité crevait les yeux à quiconque observait la pléiade des jeunes réformateurs de la politique québecoise : parmi eux beaucoup de bonne volonté, de sincérité, du patriotisme à revendre, quelques esprits brillants, mais presque tous des Épigones qui auraient pu être d’excellents disciples ; pas un seul sauf un ou deux qu’on pût prendre pour un grand esprit ; pas un seul qui eût la taille d’un grand homme ou plus simplement d’un chef d’État, même s’ils dépassaient leurs rivaux. De l’ancienne équipe de Bourassa, l’on avait souvent dit : « Il y a là-dedans trop de chefs ! » Eût-on pu dire la même chose de l’équipe nouvelle ? Mais la jeunesse de l’époque voulait, désirait tellement un chef, des chefs, qu’elle finit par les créer. Elle grandit, haussa ces hommes, incarna en eux ses aspirations impatientes, ses rêves les plus exigeants. Les chefs qu’elle voulait posséder, elle les inventa. Je n’ai pas diminué Paul Gouin. Chef, il ne tarda pas à démontrer qu’il l’était peu. Son alliance avec Duplessis lui devint moins une aide, moins un stimulant, qu’une entrave. L’attelage lui parut pesant. Plutôt lent d’esprit, porté à l’isolement, le député élu de L’Assomption ne sut point, au premier parlement où il siégea, celui de 1935, garder serré autour de lui le peloton de ses partisans ; dépourvu d’expérience parlementaire il observa, prit du temps à parler en Chambre. Trop longtemps silencieux, un peu perdu, il promena dans les couloirs du parlement, ses pieds trop lourds. Le Dr Philippe Hamel m’écrira plus tard à propos de