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sixième volume 1931-1939

cher. L’erreur était de taille. Elle révolta Mgr Alexandre Taché, de tradition conservatrice pourtant par sa famille. Il secoua George-Étienne Cartier de la belle manière. Il lui rappela l’œuvre des découvreurs, des missionnaires de race française dans l’Ouest. Les gens du Manitoba, d’origine française en majorité, et, dans une province où leur langue venait d’être proclamée langue officielle, soutint l’Archevêque, n’avaient pas mérité cette flagrante injustice. Et il conjurait Cartier d’obtenir de ses collègues un redressement de cette étrange politique. Or que répondit sir George à l’Archevêque de Saint-Boniface ? Cette parole pleine de suffisance : « Nous savons tout et nous avons pris les mesures voulues à ce sujet. » Mgr Taché ne fut pas plus heureux avec Hector Langevin, ministre de la Justice à Ottawa. Dans le monde militaire, dans le personnel administratif dépêchés ou installés à la Rivière-Rouge, l’ostracisme continua de fonctionner de la plus régulière façon contre les Canadiens français. Et vous savez le reste, M. le député. Mgr Taché, trompé odieusement sur la question de l’amnistie à Riel et à ses compagnons, en viendra à souhaiter un changement de gouvernement à Ottawa. Hélas, la conduite des ministres canadiens-français dans le cabinet fédéral, c’est là la brutale vérité, se révéla, en 1870 et dans les années qui suivirent, d’une mollesse, pour ne pas dire d’une lâcheté insigne.

M. Duplessis subit l’averse assez désagréablement. Je me contente de lui dire que je n’exhibe point là des documents secrets. Chacun peut lire les lettres de Mgr Taché, dans la biographie de l’Archevêque par Dom Benoît. Mon interlocuteur n’en demande pas davantage. Quelques jours après notre rencontre, mon ami Laforce m’apprend que M. Duplessis n’a goûté ni la leçon d’histoire, ni l’entrevue. Il se lève pour prendre congé. Je vais le reconduire à la porte, me disant tristement au fond de moi-même : « Est-ce possible que nous ayons tant travaillé, tant peiné depuis vingt ans, pour ce désolant résultat : mettre à la tête de la province un Maurice Duplessis ? » Certes, l’homme m’avait paru