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sixième volume 1931-1939

râpé, des pantalons mal pressés. Il tient dans les mains une serviette usagée, bondée de paperasses dont il refuse de se débarrasser. Après les banalités d’usage, la vraie conversation se met en train. J’ai deviné juste. Le motif de sa visite, M. Duplessis ne tarde pas à le laisser percer. La jeunesse ne va pas vers lui. Et il croit que j’y suis pour quelque chose.

— La jeunesse, me dit-il, va vers Paul Gouin. Mais Gouin est le fils de sir Lomer. Il se donne l’air de découvrir, chez les libéraux, le « pot aux roses » [textuel]. « Pot aux roses » à quoi son père n’est pas étranger. Or moi, voici dix ans que ce pot, je le dénonce. Et la jeunesse…

Je l’arrête :

— La jeunesse, M. Duplessis, va où il lui plaît d’aller. Parlons net. Je ne la pousse ni du côté de Paul Gouin, ni du vôtre. Ce n’est pas mon affaire. Mais si elle va du côté de Paul Gouin, demandez-vous donc pourquoi ? La jeunesse a, ces années-ci, des problèmes, des problèmes aigus. Si elle va du côté de Paul Gouin, serait-ce que Paul Gouin offrirait à ses problèmes des solutions qu’elle attend vainement d’ailleurs ?

M. Duplessis paraît un peu interloqué. Il ne répond pas à ma question. Il me sert une revue des luttes qu’il a soutenues depuis son entrée au parlement de Québec. Quelles dénonciations n’a-t-il pas faites des infamies des libéraux ! Et il me semble attendre une réponse. Je reprends la parole :

— L’attitude de la jeunesse s’explique par un état d’âme que vous ne me paraissez pas soupçonner.

— Que voulez-vous dire ?

— Quelque chose qui ne vous sera pas très agréable, mais que je vous dirai si vous insistez.

— Parlez.

— La jeunesse, M. Duplessis, a perdu confiance dans les vieux partis. Ces dénonciations dont vous parlez, toujours les mêmes, voilà un demi-siècle qu’on les échange d’un bord à l’autre de la Chambre. La jeunesse est patriote. Or elle vous reproche à vous, libéraux et conservateurs, de n’avoir donné à notre peuple, depuis la Confédération, aucune consigne de portée véritablement nationale ; elle vous tient rigueur de n’avoir prôné,