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gageaient point pour longtemps, en tout cas, celui qui les avait prononcées. L’esprit paternel ressaisit vite le fils. Sur toutes les tribunes il ira bientôt chanter l’hymne libéral. La fidélité au parti, il la pratiquera avec une candeur, une servilité imperturbables. Si j’ai bonne mémoire, il fera la guerre électorale même contre son cadet. À Paul il ne pardonnera jamais son insurrection contre les dieux vénérés. Léon-Mercier méritait de finir comme il a fini : sénateur libéral. À ce dernier propos, raconterai-je une anecdote qui courut certains salons et les milieux universitaires dans le temps et que j’ai toutes les raisons de croire fondée ? La lutte pour un fauteuil sénatorial se faisait serrée entre lui et Édouard Montpetit. Tous deux disposaient d’atouts puissants. Un jour, Léon-Mercier eut une idée de génie. Il se rappela l’insondable vanité de MacKenzie King, l’insurpassable comédien de la politique canadienne. Il alla trouver le premier ministre. Il lui exprima le vif, l’irrépressible désir qui le tenait d’écrire sa biographie. MacKenzie King eut un sourire ineffable. Quelques jours plus tard, un coffre rempli de documents arrivait au domicile de Léon-Mercier Gouin. Le biographe de désir n’écrivit jamais la biographie. Mais un autre que Montpetit fut nommé sénateur[NdÉ 1].

Programme de restauration sociale

Fermons cette digression et revenons à l’Action libérale nationale. En 1934, elle paraissait prendre la succession du mouvement des Jeune-Canada, lui donner en tout cas une suite politique. Le groupe de Paul Gouin conquit vite une large portion de l’opinion publique : tous ceux qui se tenaient à l’affût du moindre signe d’un réveil, d’un renouveau politique ou national. Le groupe et Paul Gouin le premier, ainsi que je l’ai dit, parlaient une langue neuve, offraient une doctrine d’une forte consistance. C’est que d’autres avaient travaillé pour eux. Et c’est le lieu de rappeler l’effort opportun de quelques hommes de pensée. Certains, en effet, avaient conçu ce même dessein : vertébrer la politique québecoise, la guérir de sa pauvreté doctrinale, lui donner une substance, l’orienter. Dessein dont on trouvera l’histoire et la réalisation en trois opuscules de L’École sociale populaire

  1. Mes Mémoires, II : 183.