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sixième volume 1931-1939

tume laissée au fond des esprits par le sans-gêne — c’est un euphémisme — de nos associés anglo-canadiens. Et pendant cette guerre, il y avait eu la disgrâce éclatante de Laurier, le grand homme abandonné, lâché par tous ses lieutenants anglo-canadiens, sauf un ; Laurier rejeté, honni pour son impérialisme trop mitigé, trop modéré. Le coup avait frappé dur sur les jeunes têtes libérales. Les réflexions pessimistes sur l’égoïsme anglo-saxon, les haut-le-cœur n’avaient pas même épargné les grosses têtes du parti : un Lapointe, un Rinfret, un Cardin. Dans une réunion intime chez L.-O. David, à Sainte-Agathe-des-Monts, Ernest Lapointe, indigné du sort fait au « grand chef », se serait même écrié, m’a-t-on dit : « Il ne nous reste plus qu’une chose à faire : nous rabattre sur nous-mêmes et aller notre propre chemin ! » Autant d’événements qui avaient favorisé l’esprit d’indépendance en politique, le dégoût des vieux partis, et voire l’irrespect pour les chefs. Rares, encore une fois, les hommes de la quarantaine qu’on eût vu indemnes de toute imprégnation nationaliste. À l’époque, il m’arriva de rencontrer quelquefois le frère aîné de Paul Gouin : Léon-Mercier. Jeune avocat de talent, ancien d’Oxford, il figurait alors ce que l’on appelle, non sans mélancolie, « une belle promesse ». Je l’avais vu, auditeur assidu à mes premiers cours d’histoire à l’Université. Il vint me relancer une couple de fois à ma chambre, au presbytère du Mile End. Il avait appris par cœur, ma « Leçon des érables » et ne perdait nulle occasion de la réciter avec un peu d’emphase et d’une voix qu’il avait d’ailleurs pleurarde. Un jour que nous causions de l’esprit de parti et de ses désastres parmi les Canadiens français, il me tint ce propos fort osé :

L’esprit de parti, M. l’abbé, pas tant que ça dans ma génération. Si nous avions à choisir entre nos chefs et nos principes, il n’est pas sûr que nous choisissions pour nos chefs.

Ainsi me parlait Léon-Mercier Gouin, fils de sir Lomer Gouin. Paroles qui n’engageaient à rien, dira-t-on. Paroles qui n’en-