Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
mes mémoires

toujours cru à la parfaite sincérité de Paul Gouin. Désireux de me renseigner, discrètement j’allai l’entendre en quelques lieux où un prêtre pouvait écouter un discours politique : chez les Voyageurs de commerce, par exemple, où l’on me ménageait un siège dans la coulisse. Incontestablement le ton du discours me plaisait. J’y trouvais l’accent qui ne trompe pas. Et l’orateur, qui parlait moins en orateur qu’en professeur, ― il n’avait pas le dynamisme oratoire ―, sortait des sentiers battus. Rien du bavard de hustings. Rien de l’électoralisme. Peu de part à la simple critique, au pur négatif. Mais plutôt un exposé clair, ordonné, des problèmes urgents ; un appel pressant à la conviction, à l’action ; la volonté ferme d’un redressement, et, par-dessus tout et pour animer cette parole, un amour manifeste des siens, de sa province, la foi en un destin meilleur. Il faut d’ailleurs se souvenir qu’il y avait quelque mérite, pour ces jeunes libéraux, à se dresser en adversaires du tout-puissant Alexandre Taschereau et contre les pontifes du parti. Le mérite se haussait pour Paul Gouin qui, par son attitude de jeune insurgé, se donnait l’air de prendre parti contre la politique de son propre père, sir Lomer, mort seulement depuis cinq ans, en mars 1929. Mais comment, par quelles rencontres d’influences, ces jeunes libéraux en étaient-ils venus à ce mouvement de révolte ? Accusons d’abord le vieillissement du parti libéral dans le Québec. C’est le sort des partis politiques débilités, rendus exsangues, embourgeoisés par la trop longue pratique du gouvernement, de ne plus savoir renouveler leurs cadres, de s’isoler des jeunes générations. Beaucoup de ces jeunes — parmi eux les arrivistes ne manquaient pas — se sentaient par trop écartés de la curée. Ostracisme provocateur à une époque de misère et de chômage. Tant de portes se fermaient inexorables à la compétence et au talent. Tant de diplômés de nos universités ou de nos grandes écoles battaient la semelle, sans rien trouver où gagner leur pain. Reconnaissons aussi, dans cette fronde de la jeunesse, l’influence d’Asselin et de Bourassa. La passion nationaliste brûlait au cœur de tout jeune Canadien français de ce temps-là. Les « variations » d’Asselin, l’évolution de Bourassa avaient semé les pires désenchantements. Mais l’ébranlement premier avait trop secoué la génération des quarante ans pour que rien ne lui en restât. Pour les plus âgés, il y avait eu la guerre de 1914, l’amer-