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sixième volume 1931-1939

de ses écrits. En Pour nous grandir, l’auteur faisait le procès sévère de l’école rurale, de l’école urbaine, de notre régime politique. Dès mes premières lignes je prenais la défense de ce courage :

Pour nous grandir est un livre courageux. Il faut du courage pour oser dire certaines vérités à un certain monde. L’optimisme bénisseur est d’ordinaire payant ; le courage l’est rarement. Un petit monde comme le nôtre, où la susceptibilité tient lieu de conscience, a tôt fait d’organiser la conspiration du silence autour de l’importun qui ose dire noir ce qui est noir, mal ce qui est mal… Dans le jugement à porter sur les institutions, ne demandez pas aux mêmes gens de s’élever jusqu’au souci de l’intérêt général, jusqu’au plan national… Ne pas chagriner quelques bonnes âmes, ne pas compromettre la bonne réputation, fût-elle usurpée, d’institutions à demi fourvoyées, cela seul doit compter. M. Barbeau n’est pas de cet avis. Il le dit nettement.

De là j’observe que l’auteur de Pour nous grandir reproche à l’école rurale d’avoir trahi la paysannerie ; et plus sévère encore pour l’école urbaine, l’écrivain l’accuse d’être « l’école de la défaite » par son mépris du français et par son anglomanie. Son chapitre le plus virulent, l’auteur l’avait réservé à sa critique de notre régime politique. Hardiment, pour remède à nos institutions démocratiques et parlementaires défaillantes, il proposait le corporatisme social alors prôné par tout un groupe rattaché d’assez près à l’École sociale populaire. Songeons que cette critique s’exprimait avec une particulière vigueur au lendemain de l’avènement de l’Union nationale au gouvernement du Québec. Et l’on comprendra quelques prochains ressauts et chocs. Mon article sur l’ouvrage de Barbeau, notons-le également, paraissait dans Le Devoir du 26 juin 1937, à la veille même du deuxième Congrès de la Langue française. À pareil moment, quels désagréables chatouillements ont dû produire dans les oreilles des politiciens, quelques-unes de mes dernières lignes :

Les partis ne peuvent plus rester ce qu’ils sont ; ils doivent accepter de se réformer de fond en comble, et dans leurs cadres et dans leurs doctrines et dans leurs mœurs ; et s’ils ne peuvent accepter de se réformer, il faudra bien qu’ils acceptent de disparaître. Même au Canada, des esprits réalistes commencent à savoir ce qui se passe dans le monde. Et nous croyons que peu de peuples prendront le risque de leur bonheur et de leur