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sixième volume 1931-1939

haut. Après tout, il n’y a pas de raison pour que l’atmosphère d’un pays jeune, d’un pays catholique et français soit irrespirable ou ne soit qu’une atmosphère de neurasthéniques. Il ne saurait entrer dans le dessein providentiel qu’un peuple catholique meure, ni même qu’il perde la moindre de ses valeurs spirituelles. Tout cela est œuvre de volonté mauvaise, de la lâcheté des hommes.

J’aime encore Vivre pour sa foi en nos ressources d’âme, en nos chances de relèvement.

Je me montrai encourageant pour Vivre peut-être au-delà de ce qu’il convenait. Un mot du cardinal Villeneuve me rassura ; j’avais fait les réserves opportunes. Vivre ne voulait être qu’un sondage. La revue de poche eut du succès. Très tôt, en février 1936, elle se mua en journal hebdomadaire : La Nation, titre que les jeunes rédacteurs arborèrent comme un drapeau. Le journal m’accorda, comme de raison, une libérale publicité. Plus peut-être que pour sa part, il contribuera à la création de ce « mythe du chef » où, pour avoir trop espéré d’un homme, s’être forgé une dangereuse fiction, la jeunesse de 1930-1940 se trouva si grandement désemparée. La Nation groupa plusieurs jeunes hommes de grand talent. Elle eut pour directeur Paul Bouchard, dont je reprends ici le portrait. Ancien étudiant d’Oxford il avait découvert là-bas son patriotisme canadien-français : jeune homme résolu, d’un dévouement entier à ses idées, à qui il n’a manqué, je crois bien, pour devenir un chef magnétique de sa génération, qu’une foi religieuse plus vive, peut-être moins suspecte. La jeunesse, du moins celle d’alors, ne se donne pleinement qu’à ceux qui incarnent ses idéaux religieux et nationaux. Intransigeante sur ces deux points, elle veut ses chefs invulnérables. Elle ne leur pardonne même pas le talon d’Achille. La Nation aura pour rédacteur en chef Marcel Hamel. Jeune écrivain de talent, plus souple, plus enjoué que Bouchard, vrai moucheron dans la barbe des illustrations québecoises. Marcel Hamel est en un sens l’un de mes convertis. Ces jeunes gens ont gardé mauvais souvenir du neutralisme national de quelques-uns de leurs maîtres du Petit Séminaire de Québec. Ils s’en prennent en particulier à l’abbé Camille Roy, homme de lettres, critique un peu pédagogue, mais qui, malgré son accoutrement et sa roideur de per-