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sixième volume 1931-1939

ment des instincts de sa race. » Oh ! je veux bien qu’au départ la marche de l’équipe parut hésitante. Ces jeunes gens se sentirent pris au dépourvu. C’était peu de chose que de se révolter contre la malfaisance, l’insignifiance des politiciens. Il fallait bâtir où les malfaisants n’avaient trouvé qu’à détruire. Et pour bâtir, il fallait s’adonner à quelque peu d’architecture, tirer des lignes, dresser un plan. Les Jeune-Canada, disons-le de façon plus claire, voulaient-ils devenir un peu mieux qu’une espérance ? Ils avaient à se forger une doctrine, ce par quoi une action se précise et se dirige, je dirais même se justifie. Ils ne tardent pas à s’y employer. C’est que, tout en se défiant de leur jeunesse, ils sentent pourtant le tragique de leur temps, de leur vie. De Saint-Gabriel-de-Brandon où il passe quelques semaines de vacances chez ses parents, André Laurendeau m’écrit le 16 août 1933 :

Les Jeune-Canada se reposent. Notre « doctrine » avance lentement. Nous avons eu une réunion en fin de juillet. C’était surtout pour ne point perdre contact les uns avec les autres. Nous avons amicalement discuté pendant tout l’après-midi. J’ai été agréablement surpris de constater que tous n’avaient pas complètement chômé.

Et voilà ces jeunes tentés par une séduction qui n’a pas fini de solliciter l’esprit des jeunes Canadiens français. Voyez plutôt :

J’ai lu avec attention une enquête de L’Action française : « Notre avenir politique ». Cela m’a ouvert toutes sortes de perspectives. Cette idée m’était déjà chère. Je me demande si sa réalisation ne pourrait pas être notre œuvre.

Au moment où vous étudiiez cette question, vous vous contentiez de regarder venir les événements. C’était juste, alors. Votre position était inattaquable. Ne vaudrait-il pas mieux, maintenant, aider les événements ?

Nous ne sommes pas encore prêts à lancer un tel mouvement. Nous n’avons ni l’expérience ni les compétences qu’exigerait une pareille action. Il nous suffirait, à l’heure actuelle, d’étudier les problèmes nationaux à ce point de vue précis, et d’aller de l’avant, sans divulguer tout de suite nos ambitions. Nous sommes très jeunes : c’est notre force et notre faiblesse. Si le temps ne désagrège ni notre union ni notre idéal — et j’ai grande confiance en quelques-uns de mes amis — nous atteindrons notre but.