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mes mémoires

vigoureuse allocution. André Laurendeau est le héros de la soirée ; c’est lui qui prononce le discours le plus vibrant, le plus applaudi. L’assemblée finie, dans la coulisse, ces chers jeunes gens ne se tiennent pas de joie. Ils ont les larmes aux yeux. Une foule enthousiaste leur a fait fête. Retenu ailleurs par je ne sais plus quoi, je n’arrive au Gésu que sur la fin de la réunion. À ma grande et joyeuse surprise, j’aperçois de l’arrière une salle bondée. Et aux premières rangées, que vois-je ? Ô flair souvent trop court des politiciens ! Je reconnais quelques-uns des grands pontifes du parti libéral. Ces Jeune-Canada, ils le savent, vont dénoncer en leur première assemblée, les lâchetés des chefs conservateurs canadiens-français à Ottawa. Ce bon sénateur Raoul Dandurand, la barbiche en bataille, et le non moins candide sénateur F.-L. Béique sont là pour applaudir les jeunes révoltés. Hélas, quelques mois à peine plus tard, les mêmes, avec leur indépendance juvénile, dénonceront les chefs libéraux de la même scène fédérale sans être applaudis, cette fois, par les nobles sénateurs.

Ce furent des jours réconfortants. Simple incident en apparence que cette effervescence de jeunesse. Dans l’atonie générale et profonde, ces voix de jeunes résonnèrent comme la sonnerie stridente d’un réveille-matin. Disons même comme un coup de clairon. Jugé aujourd’hui à distance, ce mouvement des Jeune-Canada, je n’hésite pas à l’écrire, m’apparaît comme la chiquenaude qui sortit l’opinion de sa torpeur. De cette fin de 1932 et du début de 1933 prennent date, en effet, ces autres mouvements qui vont nous mener, en 1935, à ce quelque chose qui aurait pu être une ère nouvelle, le début d’une grande époque, si, en histoire, trop d’aubes ne s’arrêtaient au bas de l’horizon. Étais-je, quant à moi, en train de me payer, et trop à bon marché, d’autres désillusions ? Non, point pour l’heure. Emporté par l’ardeur de ces jeunes gens, je me sentais accroché à d’irrésistibles espoirs. Du sol ce sont de fines et de vraies tiges de beau grain que je voyais poindre. Et volontiers je me serais récité ces phrases exaltantes de Péguy : « Rien n’est aussi poignant que le spectacle d’une jeunesse qui se révolte, rien n’est aussi anxieusement beau que le spectacle d’un peuple qui se relève d’un mouvement intérieur, par un ressourcement profond de son antique orgueil et par un rejaillisse-