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cinquième volume 1926-1931

qui me survient pendant mon premier voyage au Manitoba me donne singulièrement à réfléchir sur ce point. Un après-midi, le 6 mai 1928, Mgr Béliveau m’emmène à une petite réception que l’on m’a préparée dans un couvent de jeunes filles, à Saint-Adolphe. Le couvent est fréquenté par les enfants de la bourgeoisie bonifacienne. La Supérieure, une jeune religieuse, Française de France, a grande vogue en ce monde-là. Après le compliment d’usage qui m’est lu par Mlle Simone Landry, une couventine qui vient de gagner le prix d’éloquence dans un concours international, une de ses compagnes vient me réciter une sorte d’hymne au drapeau. Je jette les yeux sur le programme que j’ai dans les mains, et j’y lis son nom : une demoiselle Campeau. Sa figure me rappelle un type que je connais bien. Je me penche vers mon voisin, Mgr Béliveau :

— Cette demoiselle ne serait-elle pas une petite Campeau de Saint-Norbert ?

— Je n’en suis pas sûr, mais je le crois.

Le compliment fini, je fais signe à la demoiselle de s’approcher :

— Vos parents sont-ils de Saint-Norbert ?

— Oui, Monsieur.

— Savez-vous de quelle partie ou paroisse de la province de Québec, ils sont originaires ?

Elle n’en savait rien. Je dus lui dire :

— Eh bien, Mademoiselle, ils sont originaires de Vaudreuil, et du rang des Chenaux, la paroisse et le rang où je suis né. Et votre grand-père y occupait une terre que mes parents ont achetée après son départ pour le Manitoba.

Et voilà ! La jeune Manitobaine, petite-fille d’un émigré et fille d’un père né, lui aussi, au rang des Chenaux, ignorait le lieu d’origine de sa famille : ce qui laisse entendre quel souvenir certains Canadiens français, émigrés d’hier, pouvaient garder de la province de Québec.

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Je retournerai au Manitoba à l’automne de 1944 pour y donner un cours d’histoire canadienne, sous les auspices de la Société