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mes mémoires

Apaisés, convaincus, ils me promettent d’essayer. « Rédigez-nous, s’il vous plaît, au moins le brouillon d’un manifeste. » Je rédigeai ce brouillon. André Laurendeau le remania quelque peu et les quatre le lancèrent dans les journaux. Eux-mêmes y allèrent de quelques articles dans Le Quartier latin, journal des étudiants. À ma grande surprise et à la leur, l’effet se révéla foudroyant. Preuve encore une fois qu’au lieu d’attendre toujours les circonstances, il faut parfois les savoir provoquer. Non seulement du Québec, mais de tous les coins du pays, la jeunesse répondit. Un courrier en avalanche s’abattit sur ce petit groupe de jeunes hommes qui avaient choisi de s’appeler les « Jeune-Canada ». Leur président, Pierre Dansereau, écrivait dans L’Action nationale (mai 1933 : 273-274) : « Or voilà que les Jeune-Canada doivent entretenir des relations avec des jeunes hommes de leur génération, du Pacifique à l’Atlantique. De toutes parts on se rallie à leur mouvement. Preuve qu’on les attendait, qu’ils sont venus à leur heure. » En toute vitesse un secrétariat s’imposa.

Malgré soi, ici la question se pose : Comment parvient-on, un jour, à saisir l’oreille, l’esprit d’une génération, d’un peuple ? Quels mots magiques faut-il donc prononcer ? Quel accent y faut-il mettre ? Des hommes, à différentes époques, ont possédé ce rare et merveilleux pouvoir… Question à passionner les historiens, les psychologues. Des attentes, des espoirs dorment, sans doute, dans le subconscient des foules, mais qui trépignent déjà d’une ambition, d’une impatience de réveil, d’un bondissement dans la vie. D’abord, semble-t-il, il faut porter en soi les suprêmes soucis de son temps, les fiévreuses indignations. Puis, le secret est de faire le geste du bon sourcier : frapper le roc, le sol, au bon endroit. Et l’eau vive jaillit impétueusement.

Je viens de relire ce « Manifeste de la jeune génération », dans L’Action nationale (février 1933 : 117-120). On y chercherait vainement quoi que ce soit d’incendiaire. J’en exposerais comme suit les principales idées : affirmation d’une volonté de redressement, d’une réaction ; origine, principes de cette volonté : droits des deux races de nouveau affirmés, respect scrupuleux de ces droits ; donc respect de la langue française, « langue officielle du Canada, autant que l’anglais » ; puissance du particularisme canadien-français auteur du fédéralisme canadien ; droits qui en décou-