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mes mémoires

Naissance des Jeune-Canada

Un autre mouvement allait, pendant deux ou trois années, fortement secouer la jeunesse.

Un jour d’automne de 1932, encore au no 2098 de la rue Saint-Hubert, quatre jeunes hommes font leur entrée en mon cabinet de travail : André Laurendeau, Pierre Dansereau, deux autres dont les noms ne me reviennent pas. Les quatre ne dépassent pas leurs vingt ans. Ils paraissent soucieux, affairés, les sourcils en bataille. Pierre Dansereau est étudiant à la Faculté des sciences de l’Université de Montréal ; André Laurendeau à la Faculté des lettres où il ne suit pratiquement que mes cours. Quels graves problèmes amènent ces quatre chez moi ? La récente nomination d’un Anglophone au service des douanes de Montréal, nomination faite aux dépens d’un Canadien français ; d’autres nominations aussi provocantes au ministère du Revenu national, puis la composition du personnel des techniciens à la récente conférence impériale à Ottawa, celle-ci véritable manifestation d’ostracisme à l’égard des Canadiens français. Ces vexations multipliées ont fait déborder le vase, donner le haut-le-cœur à ces jeunes étudiants. Et voici ce qu’ils ont machiné : en fin de semaine, ils se rendront à la gare du Canadien National ; à la descente du train d’Ottawa, ils se saisiront de deux ministres canadiens-français du cabinet R. B. Bennett — en l’espèce MM. Alfred Duranleau et Arthur Sauvé — ; aux dits ministres, ils administreront une bonne et louable fessée et — si je me souviens bien — les barbouilleront d’encre par surcroît. Les quatre précisent les motifs de leur visite : ce qu’ils sont venus me demander, ce n’est point la permission de faire ce qu’ils ont résolu de faire. — « Mais, M. l’abbé, nous désirons solliciter votre avis : le geste est-il opportun ? Y a-t-il chance qu’il soit efficace, qu’il réveille l’opinion ? »

Je regarde ces jeunes gens l’un après l’autre. Je n’en peux croire mes yeux. J’ai dû me les frotter et assez longuement, tant le