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Béret (article reproduit dans L’Action catholique du 29 nov. 1932). Pour l’étudiant, cette « génération de vieillards » serait la sienne ; il l’aurait rencontrée au collège, à l’université, au fond de lui-même. La « crise », gémit-il, aurait « vieilli tout ce qui restait de jeune dans le monde ; nous sommes devenus vieux avant d’avoir vécu, et nous allons vers la tombe un peu fiers de nos cheveux blancs prématurés ». « Génération de vieillards », Jean-Charles Bonenfant tient au mot. Et cette cohue de jeunes vieux, il lui fouille l’âme ; il l’analyse, il s’essaie à la définir. Signes caractéristiques : absence de détermination ; point de crise de foi, mais la mort silencieuse du sentiment religieux ; point d’épouvante métaphysique ; point de désintéressement, non plus, mais des « struggle forlifeurs » ; point d’enthousiasme, bien entendu. Où trouver, au Canada français, « ce feu sacré » qui embrasait les auditeurs des premiers cours de Bergson au Collège de France ? « Aucun danger pour qu’en 1932 [chez nous] une Affaire Dreyfus divise les jeunes gens en deux camps ennemis. » Et les causes, les raisons de ce triste état d’âme de la jeunesse, le jeune journaliste du Béret les énumère comme suit : vie moderne ou vie de l’après-guerre, puis la « crise », puis l’absence de maîtres de la pensée et de l’action, tels qu’en France Barrès, tels qu’au Canada français Bourassa et ses lieutenants, LaVergne, Lamarche. École éteinte que celle-là et une autre formée à Montréal « autour de l’abbé Groulx ». Au surplus « les événements manquent qui seraient capables de faire vibrer les jeunes ».

Tableau attristant et morose, certes, encore que brossé de traits trop accusés, dira-t-on. Cependant un excellent observateur de son temps, éducateur de mérite par surcroît, le Père Théophile Hudon, s.j., n’est pas loin de cette vue pessimiste. À propos de mon deuxième tome de L’Enseignement français au Canada, il prononce ce bref et sévère jugement sur une génération où il n’y aurait pas que des vieux :

Le livre de l’abbé Groulx fera son chemin. Avec la génération actuelle, il n’y a pas grand’chose à faire : dans ses veines court le poison dont elle n’a pas même conscience (Le Devoir, avril 1934).

N’était-ce pas trop généraliser ? Nulle époque, à tout prendre, ne parut plus fertile en ressauts de jeunesse. Les mouvements sur-