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sixième volume 1931-1939

embarras au Père Gilles Marchand, recteur de l’Université d’Ottawa. L’Oblat m’offre tout de suite la chaire de sa maison. Et voilà comment, ce qui aujourd’hui peut paraître étrange, étonnant, je deviens professeur d’histoire canadienne à l’Université d’Ottawa, alors foyer ardent de vie française. Ces cours m’intéressent. On les a fixés au samedi après-midi. Les fonctionnaires sont en congé de fin de semaine ; on invite les étudiants du Juvénat, du Scolasticat oblat, les grandes filles du Couvent de la rue Rideau, de l’École normale, les religieux et religieuses enseignants de la ville. La salle académique s’emplit. Pendant deux ans, en 1933 et 1934, le nouveau professeur fera la navette entre Montréal et Ottawa, jusqu’au jour où l’Université oblate, en mal d’évoluer, jugera bon de se donner un maître moins compromettant. Au reste, on me signifiera mon congé de façon gracieuse ; on me jettera dans les bras un diplôme de docteur en droit. Un jour donc, vers 1934, si je ne me trompe, je revêtirai la toge écarlate et prononcerai un discours naturellement très senti. Mes spicilèges ont recueilli le Ms de ce discours. L’homme à la toge écarlate plaisante un peu, l’on pense bien, sur l’à-propos de ce diplôme décerné à un quelqu’un qui n’avait pâli que modérément sur les codes. Mais le décoré se lance à toutes voiles dans l’éloge des universités ; leur rôle « dans un monde paradoxal où le nombre diminue effroyablement de ceux qui ont le temps de penser et de réfléchir, alors que le besoin de réfléchir et de penser pour les autres n’a jamais tant pressé ». Il exalte en particulier la tâche d’une université telle que celle d’Ottawa qui ne forme pas des « hommes abstraits », mais « des jeunes gens de race canadienne-française et d’une race encore plus haute : des catholiques ». Et il en vient à faire de l’institution qui lui a permis d’enseigner chez elle, « le premier bastion de la vie française et catholique » dans l’Ontario. Évolution des hommes et des choses ! J’ai pu parler ainsi à l’Université d’Otta-