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mes mémoires

de son époque quelques grains ou quelques germes vivants pour assurer le prochain avenir. Caprices des générations qui vous écoutent, vous applaudissent et ont sitôt fait d’oublier et même de répudier les maîtres d’hier. Il faut si peu pour changer l’atmosphère d’un pays. Ce qui plaisait hier ne plaît plus aujourd’hui, paraît suranné, dépassé. Non, il n’est pas vrai que l’on sème pour la génération qui vient après soi. Les variations de l’esprit humain sont imprévisibles. Quel météorologue les pourrait pronostiquer avec une minime justesse ? Les courants de pensée sont aussi capricieux que les courants atmosphériques. Dans l’atmosphère régnante, on ne sait jamais quel courant étranger peut se glisser. Le semeur qui s’en va, qui a tout jeté jusqu’à la dernière poignée, jusqu’au fond de son sac, s’il est sage, se résignera mélancoliquement. Il n’avait qu’à faire son métier avec confiance, avec joie si possible. Il n’a pas à s’occuper de l’avenir qui appartient à un autre.

Cours d’histoire à Ottawa et à Québec

C’est pendant cette même période que mon enseignement d’historien s’amplifie, s’étend aux trois universités françaises. À Montréal mes cours fermés se succèdent depuis 1915 et aussi, depuis 1920, mes cours publics et d’autres plus récents sur la découverte du Canada, puis sur Champlain et son temps. Mais voici qu’un beau jour de 1933, j’occupe la chaire d’histoire canadienne à l’Université d’Ottawa. Les Pères Dominicains de la capitale, dans la carence ou l’insuffisance de l’Université oblate, se donnent l’air de fonder, pièce par pièce, une université qui serait à eux. Des cours de philosophie, de science religieuse, d’art, d’autres, sont déjà ouverts au public. Le Père Augustin Leduc, l’un de mes anciens élèves à Valleyfield, m’invite à répéter chez les Dominicains, mes cours de Montréal. Je crains de me mettre à mal avec mes amis oblats. Les dirigeants de leur université sont de mes anciens compagnons de vacances au lac McGregor. Au surplus, je répugne à la fondation d’une seconde université, quand il suffirait de vivifier celle qui est en place. Je m’ouvre de mon