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cinquième volume 1926-1931

lège communie-t-elle à cet entraînement général, à cette mystique de votre Ouest ?

La réponse fut prompte et amère :

— Notre jeunesse du Collège songe aux petites filles et écrit des vers érotiques !…

Je me récrie. Étrange état d’esprit ! J’en veux savoir la cause.

— La cause, me répond-on avec autant d’amertume, nos recteurs et nos professeurs du Collège qui nous apportent ici l’esprit somnolent du vieux Québec.

Ce jour-là, j’aperçois le drame poignant de toutes nos minorités. Besoin du Québec. Besoin vital. Rattachement nécessaire au pôle culturel, aussi indispensable que le lien ombilical à l’enfant dans le sein de sa mère. Point de survivance d’une minorité française au Canada qui soit pensable sans le Québec. Une tragique corrélation de sentiments s’aperçoit dans l’âme des dispersés : affaiblissement du lien sentimental avec la vieille province d’origine, affaiblissement fatal après deux ou trois générations, et donc affaiblissement de la volonté de résistance à l’assimilation anglo-saxonne. D’autre part, naissance fatale d’un certain régionalisme, ébauche d’une conscience adulte en ces rameaux détachés du tronc et presque devenus boutures autonomes. Que si l’on tient compte après cela des contingences politiques, économiques, sociales, culturelles, contingences du milieu ou de l’environnement où s’écoule leur vie, comment faire encore que bien des sentiments ou intérêts de nos minorités s’accordent plutôt mal, de temps à autre, avec ceux de la province mère ? Et voilà de nouveau pour amenuiser l’attachement au petit pays natal. D’autant que le problème de la survivance, pour le Canadien français de la diaspora, se pose bien autrement que pour le Québecois. Pour celui-ci, terre et culture, patrie et nationalité se conjuguent, s’identifient ou presque. Pour le Québecois la nationalité est une nationalité-État ; ses racines plongent dans une patrie. Il se sait, ou du moins il se croit en des cadres politiques bien à lui, dans un milieu historique humanisé par ses pères. Son racinement est celui de la vieille souche. Autant et plus que le cadre politique, des institutions solides, institutions juridiques, religieuses, sociales, culturelles l’encadrent, lui donnent l’impression du chez--