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mes mémoires

Nous ne ferons jamais le reproche à nos gouvernants, disais-je, de se souvenir qu’ils sont les gouvernants d’une province catholique et française et que non seulement ils ne sauraient se désintéresser de ce caractère de leur province, mais que leur devoir est d’y conformer leur politique, laquelle n’a d’ailleurs chance qu’en cet accord, d’être vivante et profitable.

Et pourquoi une « soirée de refrancisation ? On cherchait les causes d’un mal. Ces causes, où les trouver ?

Un peuple réfléchit spontanément, instinctivement sur son pays l’exacte image de soi-même. Si donc l’image que réfléchit notre terre québécoise est apparemment anglaise, qui en est responsable ? Non point telle cause artificielle ou extérieure, mais une cause qui est en nous-mêmes. Je ne prétends point que nos esprits, nos âmes soient irrémédiablement anglicisés ou américanisés ; mais si nous sommes restés français, le sommes-nous restés assez vigoureusement ?[NdÉ 1]

Citerai-je aussi un autre passage de mon allocution à propos du bilinguisme scolaire ? L’on débite alors sur le sujet tant de demi-vérités, pour ne pas dire de sottises. Voulions-nous vraiment refranciser l’âme canadienne-française, disais-je ? Commençons par restituer « à notre langue [en tout domaine] la primauté qui lui revient, sans en oublier la valeur pratique ». Un avertissement à nos hommes publics me paraissait surtout opportun : ne pas tant prêcher à notre peuple la nécessité d’apprendre l’anglais. Je visais là, je le pense bien, tout particulièrement Athanase David, pour qui, venait-il de soutenir, un homme bilingue vaut deux hommes.

… En parlant ainsi, continuais-je, j’ai conscience de ne pas céder à la moindre tentation d’anglophobie, pas plus que je ne conteste, dans notre vie canadienne, le rôle pratique de la langue anglaise. Mais je fais cette prière parce que déjà notre peuple n’est que trop poussé vers l’étude de la langue seconde et qu’il n’y a pas lieu d’accélérer la descente tragique d’un chariot sur la pente de l’abîme. Et je fais encore cette prière parce que la séance de ce soir le démontre assez, le péril, pour nous, ne serait pas de n’être pas assez anglais, mais de l’être trop ; et la langue en péril, la langue en grande pitié, ce n’est pas que je

  1. L’auteur, sans rien changer au fond, a remanié le texte de ce paragraphe.