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sixième volume 1931-1939

cet État détient sûrement le droit à tous les organes d’un État viable, donc à une certaine autonomie économique, condition de son autonomie politique, appui matériel de sa vie spirituelle. Or les conditions d’une autonomie économique se réalisent-elles chez nous ? Une revue de ces conditions impose une réponse négative. Les responsables d’un pareil état de choses ? Point le petit peuple qu’on accuse trop volontiers. Mais l’État dans une grande mesure. Puis, après l’État, les dirigeants, trop peu enclins à s’inspirer des principes de leur catholicisme et de l’idéal national. Parmi ces dirigeants, s’inscrit, en première ligne, une génération d’hommes d’affaires. Une désorientation essentielle s’en est suivie. Donc problème de l’heure, problème d’orientation : orientation dans les milieux de jeunesse d’abord, dans l’esprit du peuple, dans notre enseignement. Enfin, je dis ma foi en une orientation persévérante. Et je jette ce suprême appel à la jeunesse :

Le 10 octobre 1670, à l’heure où il décidait ces formidables bonds en avant qui allaient créer en Amérique un empire français, Talon écrivait au roi : « J’ai fait partir des gens de résolution qui promettent de percer plus avant qu’on n’a jamais fait… » Messieurs, l’heure est venue de s’éveiller ou de mourir. Je salue les « gens de résolution » qui vont repartir pour la grande aventure de la renaissance nationale.

Je n’ai pas craint d’aborder mon sujet par ses aspects les plus brûlants, ai-je écrit. Un paragraphe de ma causerie le pourrait démontrer : celui où je visais manifestement nos timorés devant les moindres froncements de sourcils de la minorité anglo-canadienne. Au reste, mes propres compatriotes m’ont fait si libéralement la réputation d’un anglophobe que l’occasion me paraissait bonne de m’expliquer. Et de là, ce propos :

Une politique canadienne-française n’est pas nécessairement, que je sache, une politique d’agression ni d’injustice à l’égard de qui que ce soit. Nous ne songeons à dépouiller personne ; seulement nous n’attendons pas, non plus, être dépouillés. Nous n’empêchons personne de vivre ; mais nous voulons vivre nous aussi. Et j’estime que ce n’est pas prendre la place des autres que de prendre la nôtre. Je ne suis, ai-je besoin de le dire, ni anti-anglais, ni anti-juif. Mais je constate que les Anglais sont pro-Anglais et que les Juifs sont pro-Juifs. Et dans la mesure