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sixième volume 1931-1939

tion même de l’idée ou du mot « national », mêlant arbitrairement et le sens politique (sens fédéral) et le sens culturel ou proprement canadien-français. Mal équivoque, que n’ont su corriger, disais-je en ce temps-là, les chefs politiques du Québec, collaborationnistes à Ottawa de la majorité anglo-saxonne, collaborationnistes également, dans la capitale québecoise, des partis fédéraux, c’est-à-dire serviteurs de leurs partis respectifs avant de l’être de leur province et de leur nationalité. Mal, ajouterai-je, pour ma part, pas même corrigé par un enseignement scolaire trop étranger à l’idéologie nationale, n’en transmettant que des bribes inconsistantes, incapable au surplus de s’appuyer sur le solide fondement d’une histoire elle-même réduite à des manuels étriqués, encore exclue jusqu’en 1915, des chaires d’université. Et la crise économique exerçait ses ravages jusque dans les esprits. Tant que le peuple avait vécu dans les campagnes, replié sur ses terres, il avait pu attendre de cette source au moins de quoi manger ; les crises avaient passé sur sa tête sans trop l’ébranler. Il se sentait encore petit patron. Mais on sait la terrible évolution. Pour le plus grand nombre, nos gens ont planté leur foyer dans les villes. Le jour où, sans travail, ils battront la semelle sur les pavés, et pour vivre et faire vivre leur famille, on leur infligera l’humiliante pitance du chèque de chômeur, ce jour-là, à l’instar des émigrants de 1830-1860, fuyant une patrie où ils crevaient de faim, pourront-ils ne pas se désaffectionner d’un pays et d’institutions qui les auront condamnés à pareille misère ? La crise économique au Québec se doublait d’une crise de patriotisme.

Qu’offrait donc au public Orientations ? Rien à coup sûr d’un manifeste ni d’un programme codifié de l’enseignement du patriotisme. Entre les discours, conférences, articles de revues qui constituent les chapitres du livre, un seul lien organique peut-être : une pensée, une inquiétude qui alors, et on sait lesquelles, m’obsèdent au plus haut point. Au reste, la plupart de ces discours ou écrits avaient paru dans les journaux ; quelques-uns même, ai-je déjà dit, avaient pris la forme de brochures. Serait-ce leur tassement en quelque 310 pages qui leur aurait conféré plus de prenant, plus de vigueur ? Tous ceux qui se sont livrés à quelque propagande ont appris qu’il n’y a rien de tel que de sonner