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corde, avec des reprises de couleur, d’accent et de relief, ne tire pas sa valeur de ce qui parerait un roman. » Dans Les Idées ou dans Le Canada, Albert Pelletier, esprit vinaigré qui ne m’aimait pas d’une particulière dilection, me fit à peu près les mêmes reproches. Il s’en prit aux hallucinations des Finlay, père et fils, à l’apparition du fantôme acadien, aux « momeries » d’une vieille Acadienne, traitée de sorcière par le fils Finlay : trucs insupportables pour nouer ou dénouer une situation, d’après le critique, comme s’il n’y avait pas eu les fantômes de Macbeth et le fantôme blanc des Habsbourg d’Autriche. À la vérité, j’avais bourré plus qu’il ne faut mon livre de tableaux historiques et peut-être aussi de réflexions morales. En outre, en ma courte préface, j’avais glissé deux petites phrases : « Ceci fut un divertissement de vacances… La critique est donc dispensée de s’en occuper. » Rien de mieux pour aguicher les gendarmes de la littérature que de prétendre leur interdire de mettre le nez dans une œuvre et de la bâtonner !

Sort étrange de mes deux petits romans. Les critiques, et je ne leur donne point tort, les ont bannis de la littérature. Hélas, les deux n’ont pas cessé de se vendre. L’Appel de la Race, réédité, trois fois réédité par L’Action française, puis une quatrième fois, il n’y a pas longtemps, par la Librairie Granger, prenait place, il y a deux ans, dans la collection du Nénuphar de Fides ; Au Cap Blomidon, avec une toilette nouvelle, en est à la 5e ou 6e édition, encore chez Granger. Consolons-nous. Il n’y a pas qu’en France que M. Ohnet connaît de stupéfiantes réussites. Qu’importe, le charme me restera longtemps des paysages de mon coin des Laurentides ; j’éprouvai tant de plaisir à les décrire : la rivière Pembina, en particulier, coquette demoiselle entre toutes parmi les petites rivières du nord. Que de fois je l’ai montée et redescendue en chaloupe, ramant paresseusement, m’enivrant