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mes mémoires

Messieurs de la Fondation Carnegie, membres de la Société Royale autant que je me souviens, ne donnèrent nul signe de vie. Sans doute, n’avaient-ils pas encore oublié ma criminelle sentence de 1917 : « Les Empires ne sont pas éternels ! »

Au Cap Blomidon

Les livres se suivent et ne se ressemblent pas. Entre de lourds travaux d’histoire, voici que paraît, encore en 1932, mon second roman : Au Cap Blomidon. Depuis trois ou quatre ans[NdÉ 1], l’ébauche et même un peu plus que l’ébauche en était faite. On se souvient de mon voyage en Acadie, pendant le mois d’août de 1915, en compagnie du « Petit Père » Rodrigue Villeneuve. Ni l’un ni l’autre n’avions rien écrit de nos pérégrinations acadiennes. La crainte nous avait retenus d’écrire quoi que ce fût qui pût faire de la peine à nos compatriotes des Maritimes. Le voyage m’avait pourtant laissé de trop fortes impressions pour qu’un jour ou l’autre, sous une forme qu’en ce temps-là je ne soupçonnais guère, il ne rebondît en mon esprit ! Par quel hasard ce rebondissement prit-il la structure du roman ? Mystère du subconscient, de ce brassement d’images d’où jaillit soudain, à notre insu, une idée, un projet qui finit par assaillir jusqu’à l’obsession. Ce projet de roman, je l’ai porté comme le sol porte un germe qu’il nourrit, développe, enrichit de sa substance. Que de fois, dans mes rêveries ou ces courtes flâneries où chacun se laisse aller, l’obsession m’a repris. Peu à peu, au fil des jours, l’intrigue, les personnages se sont dessinés. Durant les étés, à Saint-Donat, las, harassé de mes épuisants travaux, le besoin, la tentation de m’évader ou si l’on aime mieux, de me plonger dans la fiction, me ressaisissait plus assidûment. Besoin presque irrésistible devant la grandiose nature qui, du haut de mon promontoire, s’épandait devant mes yeux. Là, dix ans auparavant, par souci d’évasion et pour amuser mon entourage, j’avais écrit L’Appel de la Race. Les mêmes invites me firent écrire un autre roman. L’entourage, c’était cette fois les jeunes scolastiques et quelques jeunes Pères de la Congrégation du Saint-Sacrement. Charmants voisins sur le

  1. Il existe même une ébauche datée du 5 avril 1923.