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sixième volume 1931-1939

Bientôt s’approchent ses deux dernières années. Il entre dans une phase pénible. La souffrance l’accable, traversée de rares moments de sérénité. Alors, comme tous ceux à qui l’avenir échappe, il revient en arrière, s’agrippe au passé. Un souvenir l’obsède : celui de son ancien chef et ami Bourassa, ce dernier si loin maintenant de la plupart de ses amis d’hier. L’ancien disciple, ai-je dit, n’a pas suivi le « maître » en son évolution. Mais il est manifeste qu’avec bien d’autres il ne se console point de cette rupture :

Avez-vous des nouvelles de Bourassa ? Que pense-t-il de ce qui se passe, les Jeune-Canada, l’attaque de Taschereau, etc. Enfin tout le tremblement actuel ? Va-t-il nous donner un coup d’anathème, un de ces 4 matins ? (carte du 4 décembre 1933).

Quelques jours plus tard, il répond aux renseignements que je lui ai fournis :

Votre lettre me cause une peine profonde ; je ne pensais pas que ce fut si triste.

Pour se quereller avec Héroux, qui est un saint, il faut que ce soit grave chez notre Lamennais canadien. C’est pourquoi je craignais de sa part et la crains davantage maintenant une explosion contre vous.

Elle ne vous fera guère de mal probablement, mais à lui.

Je suis tenté parfois de lui écrire, mais je crains de l’indisposer encore plus & de recevoir une bordée d’injures. J’ai trop d’ennuis actuellement pour me causer ce chagrin additionnel, s’il est inutile.

Enfin, prions pour lui. C’est sûrement ce qu’il y a de mieux à faire.

Au milieu de ces tristesses, son mal ne lui laisse point de relâche :

Voulez-vous prier pour moi : je souffre beaucoup et mon moral se désagrège. Je désire la mort et en ai peur : je ne suis qu’un lâche au fond (17 janvier 1934).