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sixième volume 1931-1939

vingt-cinq ans. Qu’ils la fassent parvenir au port, pavillon au vent, saluée par les canons des citadelles ennemies.

Deux fois, en l’année 1933, il me sera donné de parler à ses côtés. L’orateur avait faibli, rongé par son mal. Mais combien le cœur avait peu changé.

J’ai connu Armand LaVergne, ai-je dit, sur le tard. J’ai surtout connu LaVergne l’infirme, le souffrant, le chrétien resté calme, resté fort malgré tout, mais sans pose dans sa foi. Aux heures les plus dures, il lui arrivait parfois de gémir et il ne s’en cachait point. Homme d’à peine cinquante ans, bâti en force, il acceptait comme une expiation, sa soudaine et douloureuse impuissance. Il achevait sa vie, comme il l’avait le plus souvent vécue, en beauté. Nous étions devenus, je puis le dire, de grands intimes. Avec une humilité à me confondre, il lui plaît de se dire, en ses lettres, mon « élève », mon « disciple ». Il m’a dédié le premier et unique volume de ses mémoires. Il me le dédie dans une lettre-préface où je relève ce témoignage trop flatteur que pouvait seule excuser sa profonde amitié :

Je prends aujourd’hui la liberté de raconter quelques pages de ma vie, ou plutôt d’événements auxquels elle a été mêlée, et s’il s’en trouve certains qui m’ont permis de faire un peu de bien, il n’était que juste d’en faire l’hommage à celui dont les enseignements m’ont servi d’étoile.

Un jour, en novembre 1924, il me réclame deux exemplaires de chacun de mes ouvrages alors parus ; la première série, m’écrit-il, sera « pour retremper ma foi qui quelques fois est portée à défaillir. Alors je vous lis et je reprends des raisons d’espérer ». La seconde série, il la destinait à Arthur Meighen « pour continuer, et surtout, disait-il, pour faire son éducation canadienne ». Souvent je me suis demandé comment LaVergne avait pu s’éprendre d’amitié pour le tory Meighen, sorte de Robespierre de l’impérialisme britannique au Canada : esprit sec, d’une conviction sombre, l’homme qui, pendant la guerre de 1914-1918, était prêt, pour la défense de l’Empire, à sacrifier le Canada « jusqu’au dernier dollar et jusqu’au dernier homme ». N’est-ce pas