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sixième volume 1931-1939

thier qui ne méritait pas tout à fait ce jeu de scalp. LaVergne paraît écouter distraitement la liste des allocations votées cette année-là aux écrivains. Sir Lomer Gouin, qui remplace le secrétaire de la province absent, en arrive au Centurion, roman du juge Routhier. Le député LaVergne proteste contre la somme allouée au Centurion :

— Mais, répond le premier ministre, c’est un ouvrage de valeur, traduit en sept langues, me dit-on.

— Lesquelles ? s’informe LaVergne.

— L’anglaise, l’espagnole, l’italienne, la polonaise… commence d’énumérer sir Lomer.

Cruel, LaVergne coupe court :

— L’a-t-on traduit en français ?

Le premier ministre se tient les côtes et s’affale sur son siège.

Un autre jour, c’est une assemblée politique, en plein air. LaVergne, atteint de calvitie précoce, porte un chapeau de paille dit « canotier » pour se préserver du soleil. Un interrupteur devant lui, dans la foule, ne cesse de lui crier : « Ton chapeau… ton chapeau !… » Ennuyé, LaVergne s’arrête, tend son chapeau au bout de son bras, et, dans le style populaire qu’il ne dédaigne pas, s’écrie : « Voyez-moi ces animaux. Ils sont toujours les mêmes. Ils ne peuvent voir une petite botte de paille sans avoir envie de la manger !… » Inutile de dire que l’interrupteur se tut.

Voici plus sérieux. Nous sommes encore au parlement de Québec, pendant la guerre de 1914. L’heure est venue de la conscription militaire ; les passions de race s’échauffent jusqu’à l’exaspération. LaVergne s’écrie : « Celui qui s’enrôle pour combattre à l’étranger, manque à son devoir envers son pays. » Propos audacieux. Le chef de l’Opposition, M. Mathias Tellier, se lève